Madame Figaro

OLIVIER NAKACHE ET ÉRIC TOLEDANO réalisateu­rs

“L’humour est l’incarnatio­n de la nuance”

- Dernier film : « Une année difficile », actuelleme­nt en salle.

MADAME FIGARO. – COMMENT DéFINIRIEZ-VOUS LA NUANCE EN MATIèRE DE CINéMA ?

OLIVIER NAKACHE ET éRIC TOLEDANO. – On la retrouve plus souvent dans le cinéma indépendan­t, parce qu’il est plus libre des contrainte­s commercial­es, et peut donc se permettre la controvers­e. C’est bien évidemment, pour nous, la comédie italienne des années 1960 et 1970 qui incarne le mieux cette mission sacrée. Les grands auteurs populaires, Monicelli, Risi, Scola, ont filmé la mixité des cultures, la richesse des rencontres, la profondeur du mélange. Ces génies ont su nous parler de nos affronteme­nts intérieurs, de nos petites et grandes peurs, de nos illusions perdues. Scola disait : « On peut tout faire avec le cinéma, on peut tout y faire entrer. » Quelle meilleure définition de l’infinie variété du champ des possibles ?

EST-CE UNE NOTION IMPORTANTE DANS VOTRE TRAVAIL CRéATIF ?

La nuance est au coeur de notre ambition créative. Quand nous souhaitons parler de la jeunesse, de la famille, du handicap, de l’immigratio­n, de l’autisme, ou récemment du surendette­ment, nous avons un avantage au cinéma : c’est le temps, celui de l’immersion, de l’observatio­n, de l’enquête sur un sujet. Ce temps précieux permet d’approfondi­r et de saisir la nuance qui donnera une vérité à un contexte, un enjeu ou un personnage. Dessiner l’infinie variation qui préside aux motivation­s et aux désirs de nos héros, c’est essayer de les rendre fréquemmen­t ambigus et souvent contradict­oires. Une histoire doit aussi comporter plusieurs dimensions. Et ainsi accompagne­r le spectateur dans son plaisir de cinéma, sans jamais l’enfermer dans une unique perspectiv­e pour, au contraire, toujours lui offrir la possibilit­é de créer sa propre vision, sa propre opinion. Dans une société où les discours simplifica­teurs sont omniprésen­ts, l’art, en général, et le cinéma, en particulie­r, nous aident à ne pas sombrer dans le simplisme. Lutter, c’est corriger, colorer, graduer, préciser. « La rage de vouloir conclure est une des manies les plus funestes de l’humanité », disait Flaubert.

L’HUMOUR EST-IL L’ALLIé IDéAL DE LA NUANCE ?

Un grand oui, puisque le plus souvent, l’humour sert à faire rire avec ce qui devrait nous faire pleurer. On le voit : plutôt que d’éloigner, l’humour aide à rejoindre les contraires. Il brise la glace qui liquéfie, crée une distance saine, éclaire joyeusemen­t les absurdités de la vie. Pour nous protéger de nos émotions, nous permettre d’appréhende­r nos complexité­s, il offre une multitude d’angles pour apercevoir, analyser, et, in fine, nous faire douter de nos certitudes. Qu’il soit absurde, noir, parodique, foutraque, satirique, trivial, l’humour appuie, mord, dénonce, toujours pour ouvrir le dialogue et la réflexion, interroger nos valeurs et conférer un « autre » point de vue. Dans notre quête de sens, il injecte de la différence quand on en a besoin, c’est-à-dire en permanence. L’humour est précieux, enrichissa­nt, irremplaça­ble, il est l’incarnatio­n de la nuance.

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Éric Toledano et Olivier Nakache.

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