INSTANTANÉS INTIMES ET COSMIQUES
“Les photos de nuit
sont parmi celles que je préfère. Déjà, parce qu’elles sont très techniques. En regardant celle-là, on ne sait plus où est le ciel, où est la terre, à cause des petites lumières qui sont partout. À droite, on voit le ciel avec toutes les étoiles. Les gens disent parfois que sur les photos de l’ISS (Station spatiale internationale), on n’en voit pas : bien sûr que si, mais seulement de nuit, comme sur la Terre. De jour, il y a trop de lumière. C’est une question de contraste. Ici, on voit bien l’atmosphère, et plus particulièrement l’épaisseur de l’atmosphère, cette espèce de bulle de savon jaune-verte qui entoure la Terre. Cette couleur s’explique par le fait que, de nuit, il y a toujours des petites interactions entre les particules chargées (qui nous arrivent du Soleil) et l’atmosphère. C’est du type aurore boréale, c’est en tout cas le même genre d’interaction. En bas, à gauche, on voit un orage qui claque. J’ai réussi à photographier cet éclair par chance, c’est extrêmement rapide, donc difficile à capter. Et puis tous ces petits points lumineux sur la partie gauche, ce sont des bateaux ! Ce n’est pas la Terre tout ça, en fait, c’est la mer. Sur le coup, j’ai demandé à mon collègue Aki Hoshide, qui est japonais : “C’est quoi tous ces points verts ?”, et il m’a dit : “Ce sont des bateaux de pêche au calamar”. Les pêcheurs les attirent avec des lumières, parce qu’ils se nourrissent de planctons luminescents.
Et puis le reste des points lumineux, ce sont les éclairages de la ville, peutêtre Singapour, je dirais. Le tout est recouvert par un nuage, ce qui donne ce côté un peu voilé. Tout en haut, dans l’épaisseur de l’atmosphère, on voit ce trait blanc qui arrive : c’est le jour qui se lève. Il est encore très loin, mais on va tellement vite avec la Station, que dans cinq, six, peut-être sept minutes, cette ligne sera sur toute la courbure de la Terre ; et dans quinze minutes, ce sera le jour. Et on ne verra plus tous ces points lumineux, ce sera tout bleu. À regarder cet album de photos, ça me donne envie d’y retourner : pour cette vue incroyable, mais surtout pour le côté mission. Pour retrouver ce côté intense et clair. La vie sur Terre est un peu moins intense, et surtout beaucoup moins claire. »