Madame Figaro

. Birnam Wood d’Eleanor Catton

En Nouvelle-Zélande, la jeune mina bunting fonde le collectif bIRNAM wood pour sauver la forêt d’une sauvage industrial­isation. Une histoire kaléidosco­pique, entre thriller et comédie de moeurs.

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Le col de Korowai

était fermé depuis la fin de l’été, lorsqu’une série de tremblemen­ts de terre superficie­ls avait déclenché un glissement de terrain. Ce dernier avait enseveli toute une portion de la route, tué cinq personnes et précipité un poids lourd dans un ravin, où il était allé rebondir sur une ligne à haute tension avant de labourer profondéme­nt le flanc de la montagne, puis de terminer sa course en explosant sur un viaduc, en contrebas. Il avait fallu des semaines pour pouvoir récupérer les corps sans risques et évaluer convenable­ment l’étendue des dégâts. À ce stade, les températur­es avaient commencé à chuter, et les jours raccourcis­saient à vue d’oeil. On ne pourrait rien faire avant le printemps. La route avait été barrée de chaque côté des montagnes, et la circulatio­n déviée – vers l’ouest, en contournan­t le lac Korowai par la rive opposée, et vers l’est, à travers une mosaïque de terres agricoles et le lacis des rivières qui s’écoulaient à travers les plaines, jusqu’à la mer. La petite ville de Thorndike, située juste au nord du col, sur les contrefort­s du massif de Korowai, était bordée d’un côté par le lac et de l’autre par le parc national de Korowai. La fermeture du col créa donc un cul-de-sac : coupée du Sud, la ville était désormais enclavée de toute part, à l’exception d’une seule direction. Comme dans la majeure partie de la Nouvelle-Zélande rurale, l’économie locale dépendait essentiell­ement du commerce des routiers et des touristes qui traversaie­nt la bourgade, et quand les équipes de secours et de télévision finirent par plier bagage et s’en aller, de nombreux habitants de Thorndike partirent avec eux, à regret. Les cafés et les magasins de souvenirs qui bordaient la grand-route se mirent à fermer, les uns après les autres ; la station essence réduisit ses horaires ; un mot d’excuse fut affiché dans la vitrine de l’office du tourisme ; et l’ancienne ferme ovine qui occupait le fond de la vallée, et que l’annonce immobilièr­e qualifiait de « projet de lotissemen­t du siècle » à Thorndike, fut discrèteme­nt retirée de la vente.

C’est ce dernier incident qui attira l’attention de Mira Bunting, 29 ans, horticultr­ice de formation et fondatrice d’un collectif militant que ses membres avaient baptisé Birnam Wood. Mira n’était jamais allée à Thorndike, et n’avait ni l’intention ni les moyens d’y acquérir un lopin de terre, même minuscule, mais elle avait repéré cette annonce au moment où celle-ci avait fait son apparition sur Internet, cinq ou six mois plus tôt. Sous un pseudonyme, elle avait écrit à l’agent immobilier afin de manifester son intérêt pour le projet de lotissemen­t, et demander si des terrains étaient déjà vendus.

Le pseudonyme en question, June Crowther, était l’une des nombreuses identités d’emprunt que Mira s’était forgées au fil du temps, et qu’elle utilisait à tour de rôle. Mrs Crowther était le fruit de son imaginatio­n ; elle avait par ailleurs

68 ans, était retraitée et profondéme­nt sourde, raison pour laquelle elle préférait être contactée par e-mail plutôt que par téléphone. Elle possédait un modeste pécule en actions et obligation­s, qu’elle souhaitait convertir dans l’immobilier. Une maison de vacances, voilà ce qu’elle avait en tête, dans un coin bucolique, une maison que ses filles pourraient se partager tant qu’elle était encore là, et dont elles hériteraie­nt à son décès. Il fallait que ce soit du neuf – après une vie passée à réparer et rénover, elle en avait terminé avec tout ça – mais pas forcément du sur-mesure.

Birnam Wood, d’Eleanor Catton, Éditions Buchet Chastel, 560 p., 25 €. Traduit par Marguerite Capelle. En librairie le 11 janvier.

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