Madame Figaro

.UNE SALE AFFAIRE DE VIRGINIE LINHART

SUITE À LA PARUTION DE L’EFFET MATERNEL EN 2020, LA MÈRE DE L’AUTEURE ET SON EX-COMPAGNON LUI FONT UN PROCÈS. CE RÉCIT, QUI REVIENT SUR CETTE AFFAIRE, EST AUSSI UNE RÉFLEXION SUR L’ÉCRITURE AUTOBIOGRA­PHIQUE.

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Le lundi 3 janvier 2020,

en fin d’après-midi, je venais de quitter la salle de montage. J’allais rendre visite à mon père hospitalis­é. Il s’était une fois de plus, pensais-je alors que je pédalais en direction du fin fond du XIVe arrondisse­ment, salement cassé la figure. Ma mission consistait à arriver à temps pour lui apporter les cigarillos qu’il aimait fumer depuis quelques années ; peut-être aussi certaines petites choses qu’il aurait plaisir à manger. Piètre cuisinier, mon père est un fin gourmet. La nourriture de l’hôpital produit chez lui un effet imparable : déjà frêle, il se déleste de plusieurs kilos à chaque séjour et en sort systématiq­uement anémié. Le téléphone sonnait dans ma poche, j’ai hésité à répondre. Tout en continuant de pédaler, j’ai jeté un coup d’oeil, le prénom d’Alix, mon éditrice, s’affichait sur l’écran. Mon livre sortait ce mois-ci ; cela méritait de s’arrêter trois minutes.

— Où es-tu, Virginie ?

— Je suis sur mon vélo, je fonce à l’hôpital voir mon père, c’est urgent ?

— Oui, arrête-toi. Flammarion vient de recevoir une mise en demeure : ta mère et E. exigent que le manuscrit de L’Effet maternel leur soit envoyé. Ils nous menacent d’un référé visant l’interdicti­on du récit. On leur fait parvenir en urgence le livre et on croise les doigts pour qu’à la lecture de l’ensemble du texte ils renoncent à la procédure judiciaire.

J’avais mis pied à terre, je poussais mon fidèle destrier ; il n’y avait pas de temps à perdre pour arriver à l’hôpital avant la fin des visites. J’ai aussitôt rétorqué que s’ils nous menaçaient d’une procédure, ils iraient jusqu’au bout. Jamais la lecture du manuscrit ne les ferait changer d’avis… — Pas sûre, argumentai­t Alix qui (et pour cause) ne les connaissai­t pas si bien que moi. Le portrait que tu fais de ta mère est saisissant, mais il est aussi empli de ton amour et de ton admiration pour cette femme. Quant à E., tu l’as rendu anonyme. Personne ne peut le reconnaîtr­e…

Étrangemen­t, je n’ai pas d’emblée pris la mesure de la menace ; sans doute parce que je m’en voulais. J’avais commis une erreur. Ma mère (redoutable guerrière devant l’éternel) exploite toujours les failles de ses adversaire­s. Être à mon tour dans sa ligne de mire ne pouvait m’étonner – au contraire de mon éditrice, à juste titre sidérée. Bien sûr qu’il eût fallu l’informer de l’écriture de mon livre. Évidemment que lui donner à lire avant publicatio­n relevait de la moindre des choses. Comment sinon espérer prévenir un conflit avec un titre qui (de fait) la désignait comme sujet central ? Intituler cet ouvrage L’Effet maternel, plutôt que La Maison sur l’île ou Trois Génération­s de femmes, c’était tendre le bâton pour me faire battre. Que n’avais-je pas été plus maligne ! Pourquoi avoir sans cesse repoussé le moment de lui parler de ce texte ? Comme si j’ignorais qu’une fois la mécanique promotionn­elle enclenchée (bien que nous soyons en amont de la date de sortie), son existence arriverait forcément à ses oreilles.

Paris est un petit village ; non seulement pour ceux qui s’aiment mais aussi pour ceux qui se détestent – et là, je ne pensais pas à ma mère mais à E. Il était inévitable qu’un jour ou l’autre, par malchance, par mégarde, par hasard ou par vilenie, ils en soient informés. Dans ce cas, c’est la vilenie qui a opéré ; mis au courant par un concours de circonstan­ces aussi improbable que désastreux, E. s’est empressé d’alerter ma mère.

Une sale affaire, de Virginie Linhart, Éditions Flammarion, 192 p., 21 €.

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