Madame Figaro

.MON SOUS-MARIN JAUNE de JÓN KALMAN STEFÁNSSON

Le narrateur rencontre Paul McCartney, son idole de toujours, dans un parc londonien. et c’est toute sa vie, entre fjords de l’Ouest et vieille Trabant, qu’il nous dévoile dans cette étincelant­e fantaisie.

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Un conseil : attachez vos ceintures.

Les pages qui suivent nous emmèneront dans bien des directions et nous conduiront à faire plusieurs haltes à des époques et en des lieux différents : en Mésopotami­e il y a cinq mille ans, au Moyen-Orient en l’an 33, rue Safamýri à Reykjavík, dans la province des Strandir à partir des années 1970, à Keflavík environ dix ans plus tard, et dans bien d’autres endroits, que je ne prends pas le temps de nommer pour l’instant – toutes ces routes aboutissen­t d’une manière ou d’une autre ici, dans ce charmant parc public londonien, où je croise les jambes par une belle journée d’août 2022, assis pas très loin de Paul McCartney, l’ancien Beatles âgé de 80 ans. Cherchant à se protéger du soleil, de la chaleur et de la célébrité, il s’est abrité sous l’épais feuillage d’un chêne plus ancien et sans doute en bien meilleure santé que l’Empire britanniqu­e.

Il faut que j’aie une conversati­on importante avec Paul McCartney, mais les sujets que je souhaite aborder sont multiples et leur système racinaire d’une telle complexité que je ne suis pas encore parvenu à en démêler l’écheveau.

C’est pourquoi j’attends avant d’engager la discussion. Il est d’ailleurs dans l’essence de certaines conversati­ons que de nécessiter une longue préparatio­n puisqu’elles sont le fruit de toutes sortes d’événements, de circonstan­ces, de souvenirs, d’oublis, de récits où l’étrange et le banal, le tragique et le comique, la joie et la mort cheminent côte à côte. Des histoires où l’Éternel et mon père forcent Johnny Cash à entonner d’affreuses chansons de marins, où les Beatles composent un nouveau titre à l’arrière d’un autocar dans le fjord de Hvalfjörðu­r, où les bébés phoques pleurent, où la sterne arctique plante son bec dans la mort, où la douleur du deuil est le plus haut sommet de l’Islande, où les défunts prennent Ringo Starr pour l’évêque de Hólar, où le journal Tíminn [Le Temps] évite aux campagnes islandaise­s de se dépeupler, où jamais le passé ne passe et où les montagnes demandent de nos nouvelles. Des récits où il est question d’un roman d’amour à Keflavík et d’un monceau de vêtements, où le coeur de Benjamín, le moniteur d’auto-école, se fissure, et où quelqu’un se précipite telle une étoile éteinte dans la mer de ténèbres entre Keflavík et Garðar, où le Christ reconnaît sa terreur et l’aversion que lui inspirent les croix, puis où on lance un avis de recherche pour un livre perdu, qui se trouve être le premier livre de la Bible.

Je crois donc pouvoir vous conseiller d’attacher vos ceintures, parce que, ici, tout peut arriver.

Et surtout ce qui échappe à notre entendemen­t. ●

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Mon sous-marin jaune, de Jón Kalman Stefánsson, Éditions Christian Bourgois, 396 p., 22 €. Traduit par Éric Boury.
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