Madame Figaro

DANS LA TÊTE DE ● ENKI BILAL

- ● M. T. H

CONFORMÉME­NT AU PRINCIPE de la collection « Une rencontre » croisant littératur­e et bande dessinée, Shakespear­e-Bilal revient sur les coulisses d’une oeuvre, soit Roméo et Juliette, que l’artiste avait déjà revisité dans Julia & Roem.

MADAME FIGARO. – COMMENT EN ÊTES-VOUS VENU À VOUS INTÉRESSER À ROMÉO ET JULIETTE ?

ENKI BILAL. – Pour les décors et les costumes d’un spectacle d’Angelin Preljocaj, à l’Opéra de Lyon, nous voulions proposer une version géopolitiq­ue de la pièce au moment de l’éclatement de la Yougoslavi­e. Lui est d’origine albanaise, moi yougoslave, et on a pensé à revisiter Shakespear­e avec un Roméo qui aurait pu être croate et une Juliette serbe… ou l’inverse. Par la suite, j’ai songé qu’après Animal’z, où l’eau et la glace sont au coeur de l’ouvrage, je pourrais m’attacher au désert, avec un album monochrome, dans les tons ocre. J’ai alors songé à faire rejouer à mes personnage­s la tragédie de Roméo et Juliette, mais sans qu’ils en aient conscience, et avec un happy end : c’est Julia & Roem.

QU’EST-CE QUI VOUS A POUSSÉ À FAIRE DU DESSIN ?

Ma passion du dessin me vient de ma mère, qui dessinait très bien. On était à Belgrade, dans les années 1950, elle était dans la couture, mon père était tailleur. Un jour, elle a croqué une tête de cheval et m’a proposé de la reproduire. Ce fut le déclic ! Je me suis mis à user des craies sur les trottoirs, et puis, à 9 ans, j’ai joué dans un film se déroulant dans les rues de Belgrade, et on m’a choisi parce que je dessinais bien… J’avais donc déjà le virus en arrivant à Paris, le pays de la BD franco-belge, pile au moment où commence son âge d’or ! Puis je suis tombé amoureux du français. Le dessin reste intimement lié à une forme de renaissanc­e via une nouvelle culture, une langue nouvelle.

VOUS AVEZ AUSSI FAIT DES INCURSIONS AU CINÉMA, À L’OPÉRA…

Quand je suis entré dans le milieu profession­nel avec le magazine Pilote, j’allais déjà beaucoup au cinéma. J’aimais Kubrick, Pasolini, Polanski, Fellini, Tarkovski… Je me tenais davantage au courant de l’actualité des films et des romans que de celle de la BD. Le cinéma m’inspire. Si bien qu’à l’initiative d’un agent, je me suis lancé dans un long-métrage… Je suis fasciné par la réalisatio­n, qui offre moins de liberté mais permet de sortir de la solitude de l’atelier, tout comme les collaborat­ions pour le spectacle vivant. C’est le prolongeme­nt naturel de mon envie de mettre en images mes thèmes.

PENSEZ-VOUS QUE VOTRE TRAVAIL EST AUSSI UN ENGAGEMENT, PAR RAPPORT À L’ÉCOLOGIE, À LA MÉMOIRE COLLECTIVE, AU TOTALITARI­SME ?

L’endroit où l’on naît est déterminan­t. J’ai connu une forme de dictature, il est logique que le destin de l’humanité ou le pouvoir deviennent des thématique­s récurrente­s dans mon travail. Julia & Roem est une histoire d’amour, mais elle est aussi marquée du sceau de la politique, du sociétal et de l’idéologiqu­e. Je ne suis pas militant, pas lanceur d’alerte, mais je suis un artiste qui ne peut pas ne pas questionne­r l’avenir des hommes.

L’ouvrage fera l’objet d’une exposition à la Galerie Barbier, à Paris, du 19 janvier au 2 mars. galeriebar­bier.com

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Shakespear­e-Bilal. Une rencontre, Éditions Marie Barbier, 192 p., 35 €.

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