CArlA BrUni

Chanteuse-compositrice “Faire taire les petits démons de mon imaginaire”

« J’ai tout fait tard dans ma vie : mes chansons, mes enfants, mon mariage. Parce que la peur et les complexes occupaient beaucoup de place. Le temps m’a montré qu’il y a une grande différence entre le monde des idées – ce que l’on se raconte – et le réel – ce qui advient. Lorsque j’ai conçu mon premier album, je ne me sentais pas légitime. Je me disais que personne n’allait l’acheter, sauf ma soeur, ma mère et mes cousines. Puis est arrivé ce succès inattendu, que j’ai vécu comme un miracle. Bien sûr, la réponse du public m’a aidée à prendre confiance en moi, à oser m’avouer aussi que j’avais eu le courage de prendre un risque. Mais lorsque j’ai dû monter sur scène pour chanter mes titres en live, je pensais que je n’y arriverais pas. Chanter, ce n’est pas du tout comme marcher sur un podium. En tant que mannequin, je porte les créations d’autres artistes. En concert, c’est beaucoup plus intime, plus sensible, plus délicat. C’est plus profond, je me dévoile. J’ai parfois pensé que je ne pouvais pas faire ce métier parce qu’il faut accepter de chanter avec ses tripes. En avançant dans le temps, je ne dirais pas que la peur et les complexes diminuent, mais je les accueille. J’entre dans un autre espace-temps, j’attends le roulement de tambour avant la reddition, comme le décrit Françoise Sagan dans La Chamade. J’apprends à me laisser emporter. Je fais taire les petits démons de mon imaginaire. Je ne suis jamais vraiment satisfaite de moi-même. Cette sensation m’est utile, non pas pour créer d’autres sources de complexes, mais pour m’améliorer. Alors je travaille, je vais dans mon petit studio, je joue de la guitare, j’échauffe ma voix, je lis. Parfois je reste là sans rien faire. C’est ce que raconte Virginia Woolf dans son essai Une chambre à soi. Elle y explique que les femmes ont besoin encore plus que les hommes d’une pièce à elles, où le monde extérieur n’entre pas. Une porte, une limite, afin de pouvoir trouver le temps et la force de croire en soi, de laisser dehors les peurs et les complexes. De s’accorder la liberté folle d’exister telle que l’on est. »