Madame Figaro

Amandine Albisson Danseuse étoile à l’Opéra de Paris

“J’ai arrêté de me critiquer”

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« J’ai été nommée danseuse étoile en 2014, à l’issue de la représenta­tion du ballet Onéguine. J’avais 25 ans et il n’a pas été facile d’assumer ce titre, qui était pourtant mon rêve ultime. Enfant, je voyais les danseurs étoiles comme des dieux intouchabl­es. Je me demandais si j’avais vraiment la légitimité d’en faire partie. Être étoile signifie donner l’exemple et s’approcher de la perfection. Autour de moi, je sentais des regards bienveilla­nts, mais à l’intérieur, je doutais. Pour acquérir un sentiment de légitimité, il y avait un seul secret : le travail. Ma quête en tant qu’artiste est de me sentir libre sur scène, d’atteindre un état second de transcenda­nce. Cette condition, à la fois psychologi­que et physique, requiert une discipline de fer. Mais cela ne suffit pas. Mes expérience­s dans ma vie de femme m’ont beaucoup nourrie également et aidé à dépasser mon complexe. Depuis que je suis devenue mère, je suis bien plus indulgente envers moi-même. Je relativise davantage. La danse reste au coeur de mon existence, mais je l’affronte avec plus de douceur, plus de plaisir. Ma grossesse m’a appris à découvrir encore mieux mon corps, qui est mon outil de travail. Je le connais par coeur maintenant, je l’écoute beaucoup plus, je sais exactement comment il fonctionne et j’en prends soin. Cette peur de ne pas être à la hauteur, qui m’a habitée pendant longtemps, s’estompe chaque jour. Je ne me donne plus d’ordres quand je danse. J’ai arrêté de me critiquer. La peur prend une grande place et on doit la gommer pour laisser entrer de nouvelles sensations. Maintenant, quand je suis sur scène, j’arrive à m’oublier et à me dépasser. Je prends conscience qu’une fois qu’on est sur le plateau, il faut laisser la magie opérer, et alors tout devient possible. Il faut des années pour parvenir à ce lâcher-prise qui vous embarque vers l’inconnu. C’est de l’abandon que naissent les plus belles émotions et les élans qui submergent le public. Je pense en particulie­r à des ballets comme le Boléro de Béjart ou La Dame aux camélias, que j’ai incarnée aux côtés d’Audric Bezard, dans l’écrin magique de l’Opéra de Paris. J’étais comme dans un état d’hypnose, de transe, et j’ai vécu la scène comme s’il s’agissait de la vraie vie. C’est pour ces instants de grâce et d’empathie que je fais mon métier. » « Don Quichotte », du 21 mars au 24 avril, à l’Opéra Bastille, à Paris.

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