Colombe Schneck
J’ÉTAIS, ADOLESCENTE, IVRE D’ÊTRE LIBRE,
de porter des jupes, de regarder les garçons, de rêver à l’amour, j’étais donc une « fille facile », puis je suis devenue la mère qui admire avec effroi sa fille en jean le devenir à son tour. Il suffit de quelques stations de métro, et être une « fille facile » vous met en danger de mort, et on le devient pour un rien, une épaule dénudée, un message envoyé. Dans certaines cités, les adolescentes vivent dans un monde sans liberté, où leur corps caché par un pantalon large est une « honte », soumises au discours de quelques prédicateurs religieux, contrôlées par des garçons pour lesquels on exige le contraire
– ils doivent démontrer leur virilité. Laure Daussy, l’auteure écrit : « J’ai fui d’abord le sujet », parce qu’il est « sordide », mais aussi parce qu’il y a cette crainte qu’il soit utilisé contre ceux mêmes qui en sont aussi les victimes. À partir du destin terrifiant de Shaïna, collégienne à Creil,
« fille facile » pour avoir répondu à un message sur Snapchat, agressée à 13 ans, brûlée à vive à 15 ans, mal protégée par les institutions policières et judiciaires, Laure Daussy a voulu écrire pourquoi et comment l’injonction à la virginité des adolescentes les enferme dans un rôle, les oblige à se vêtir de la manière la moins séduisante possible ; comment elles subissent différentes formes de violence sexuelle qui ont conduit certaines d’entre elles à la mort, et pourquoi elles sont aussi peu soutenues par les organisations féministes. Elle a interrogé les filles, les garçons, les pères, les mères, leurs peurs et leurs désirs. Elle nous permet d’entendre des voix, des vies qui sont tenues à l’ombre, c’est aussi notre rôle de lectrices et de lecteurs de ne pas les abandonner, comme Shaïna l’a été.