Madame Figaro

PEAU D’ÂME

- par Marion Dupuis cheffe de service mode

QUARANTE SECONDES CHRONO. Guère plus. Parfois même moins. C’est le temps de passage d’une robe haute couture sur un podium. Des étoiles filantes dont le commun des mortels ne peut imaginer les centaines d’heures de travail à la main et la fantastiqu­e machinerie humaine qui s’échine en huis clos pour produire ces trésors. Plumes enchantées, défroissée­s à la vapeur, ébarbées, coupées, frisées, montées en quinconce par des artisans virtuoses ; myriade de camélias, dahlias, pivoines, oeillets, orchidées d’organza, de mousseline, de tulle ou de velours découpées au millimètre près par des couturière­s aux doigts de fée ; merveilleu­x plissés soleil ou à plat qui dansent…

Un univers créé par des façonniers d’élite. Mais ces ateliers de haute couture pratiquent le culte du secret. On peut toujours essayer de percer leur mystère en analysant le pedigree de leurs créations associé à leurs noms et leurs numéros. Certains intitulés sont aussi délicieux que le menu dégustatio­n d’un restaurant étoilé. Petit florilège. Chanel, « look 39, robe courte en organza noir brodé de paillettes illusion drapé par Lesage, ornementée sur les côtés de tombés de tulle noir brodé de plumes et de sequins par Montex ». Dior, « look 27, robe bustier drapée en tissu moiré bouton d’or brodé Jardin de fleurs en rubans teintés, soie, fils or et bijoux anciens ». Une liste qu’on pourrait dérouler sur des pages.

Pour en savoir un peu plus sur les coulisses de cette féerie haute couture, cette antichambr­e des podiums, un conseil : prenez le temps de voir, ou revoir, les documentai­res de Loïc Prigent (lire p. 20), dont la série Signé Chanel (sur Amazon Prime Video). Le journalist­e et réalisateu­r a été l’un des premiers à pénétrer dans les arcanes des ateliers, filmant au plus près les mains déformées par les heures de labeur, révélant aussi aventures humaines et personnage­s légendaire­s, parmi lesquels Madame Pouzieux, la mythique passementi­ère de Chanel. Ces artistes de l’ombre, coéquipier­s discrets et indispensa­bles des grands créateurs de mode, prennent un peu la lumière dans ce numéro consacré à la haute couture.

Un monde aussi enchanté que le film Peau d’Âne, de Jacques Demy. Un monde où les machines les plus high-tech ne pourront jamais remplacer la main qui coupe, le doigt qui se pique, l’oeil qui ausculte… La couture ? Un des derniers refuges de l’humain, de l’inimitable, du merveilleu­x, proclamait Christian Dior. Son message est aujourd’hui plus vivant que jamais.

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