Épatant Mister Mann
MÊME QUAND IL FILME UNE PHOTOCOPIEUSE, c’est génial ! Alors, quand il filme le mano a mano entre De Niro et Al Pacino dans Heat, la confrontation entre un chauffeur de taxi (Jamie Foxx) et un tueur à gages (Tom Cruise) dans Collatéral, ou l’échappée belle en hors-bord de Colin Farrell et Gong Li (Miami Vice), les scènes demeurent gravées à jamais dans les esprits.
À 80 ans, le cinéaste américain, qui sort bientôt Ferrari, avec Adam Driver, publie son premier roman, s’articulant autour de l’intrigue du film Heat, avant et après.
De la précision documentaire de Mann, couplée à son sens du suspense et aux destins en forme de tragédies antiques de ses héros, gangsters ou flics, naît un polar grandiose où l’émotion, toujours tenue en laisse, alimente des scènes incroyablement fortes, et où la réflexion de l’auteur sur l’évolution du grand banditisme (les attaques de banque cèdent la place au trafic de systèmes informatiques militaroindustriels) est passionnante. On retrouve Neil McCauley (De Niro) alors qu’il dévalise la planque de gros trafiquants de drogue en plein désert, Chris Shiherlis (Val Kilmer) embauché par la mafia taïwanaise au Paraguay, et le détective Vincent Hanna (Pacino) qui traque, à Los Angeles, un serial killer incarnant, bien sûr, le sommet de l’abjection. Des deux côtés de la loi, les héros de Mann sont des types hyperdoués, obsessionnels, prêts à devenir fous pour atteindre leur objectif, et qui finissent par tout perdre, surtout l’amour. L’écriture de Mann, aidé de la romancière Meg Gardiner, est une caméra : les sentiments et les dilemmes des personnages se déduisent principalement de ce qui se voit et se parle, sans introspection, c’est sobre, très documenté et d’une redoutable efficacité. ●