Colombe Schneck
L’AUTEURE JAKUTA ALIKAVAZOVIC RACONTE UN RÊVE. C’était lors d’une rencontre en anglais, à la librairie Shakespeare and Company, et j’avais aussi l’impression de rêver. Le lieu, cette maison anglaise au bord de la Seine, à Paris, avec son piano, sa table de ping-pong, sa bibliothèque où l’on peut emprunter et on rend « quand on peut », Sylvia, la libraire, en robe de fée, l’assistance, des écrivains anglo-saxons lus et reconnus… Jakuta, avec son parfait accent britannique, était assise à côté du grand écrivain colombien Juan Gabriel Vásquez, il la regardait avec un sourire ébloui. Quand elle était étudiante, elle rêvait souvent qu’il y avait, derrière une porte de son studio, une pièce supplémentaire, lumineuse, ornée de grandes fenêtres. Cette pièce, c’était évidemment ce que lui apporte la littérature, une vie supplémentaire, une vie augmentée. C’est ce à quoi j’ai pensé en lisant le premier tome de La Trilogie de Copenhague. Un récit autobiographique de la poétesse danoise Tove Ditlevsen. Née dans une famille pauvre, elle a un rêve secret, elle ne peut rien dire, même à sa meilleure amie. « Un jour, j’écrirai tous les mots qui déferlent en moi. Un jour, d’autres personnes les liront dans un livre, et s’étonneront qu’une fille aussi puisse devenir poète. » Puis : « Le temps a passé, l’enfance est devenue fine et plate, fragile comme une feuille de papier », écrit-elle. Avant de mourir en 1976, à l’âge de 59 ans, Tove Ditlevsen était une des grandes voix de son pays. Sa trilogie, publiée il y a cinquante ans, vient de ressortir et connaît une consécration internationale. Cette voix précise, sensible, qui observe comment l’art arrive dans un monde qui en est dénué, est comme la pièce de Jakuta, une pièce lumineuse à laquelle on ne s’attend pas.