Madame Figaro

L’étoffe des pensées

- par Ryoko Sekiguchi

L’ACCESSOIRE N’A JAMAIS VOCATION à DEMEURER SIMPLE « ACCESSOIRE ».

Je me souviens d’un objet ravissant exposé au Musée Frederic-Marès, à Barcelone, lieu dédié à l’art de vivre catalan et véritable écrin des merveilles d’artisanat que les mains d’autrefois savaient encore confection­ner. Au coeur d’une riche collection d’éventails, d’étuis à lunettes en dentelle de fil de fer et d’ornements floraux réalisés en coquillage­s, apparaît, dans toute sa splendeur et décadence, un « porte-bouquet », accessoire jadis indispensa­ble aux femmes de l’aristocrat­ie, qui se pavanaient dans les soirées mondaines munies de petites fleurs portatives. Ce « bijou vivant », comme l’oeillet qui parfumait délicateme­nt la pochette des hommes galants, me semble l’acolyte idéal pour fouler la scène du monde, main dans la main avec les fleurs que nous aimons.

Si l’on porte tant d’attachemen­t à la bague de sa grand-mère ou aux bracelets offerts par son amoureux, c’est qu’ils nous donnent l’impression de porter avec nous un peu de ces personnes chéries. Comme un simple foulard noué autour du cou suffit à nous attacher un peu du savoir-faire d’un artisan que l’on admire. Les vrais accessoire­s nous accompagne­nt doublés des pensées que nous avons pour eux, et ce sont ces pensées, en définitive, que nous portons.

Autrefois, au Japon, les amateurs de saké avaient toujours sur eux leur petite tasse favorite, qu’ils sortaient au moment de la dégustatio­n ; coutume en recrudesce­nce ces temps-ci parmi la jeune génération, en particulie­r chez les femmes. Les objets que l’on porte à la bouche nouent avec nous un lien intime. Ils comprennen­t nos goûts mieux que personne en accueillan­t en eux nos aliments de choix au fil des années.

Quant à moi, j’ai un compagnon de route, peut-être surprenant mais toujours fidèle : un soliflore, conçu à ma demande par un ami céramiste. Un petit soliflore, léger mais stable, discret, et qui s’accorde avec beaucoup de plantes. En entrant dans une chambre d’hôtel, je le dépose sur le bureau, qui, tout à coup, se transforme en « mon » bureau le temps de mon séjour. Une fois dehors, je cueille une branche, une fleur au hasard des rues, pour la déposer dans ce charmant objet.

Mon soliflore, qui m’attend sagement à l’hôtel, me fait voir la ville autrement. Je deviens plus attentive aux détails, à la flore, aux couleurs, à l’atmosphère.

Lors de plus longs séjours, je prends mon soliflore et ses fleurs en photo et je l’envoie à ma famille. Alors il se métamorpho­se en messager qui leur annonce que je vais bien et que mon voyage se passe à merveille. Chaque objet, chaque accessoire possède une âme : à nous de la réveiller. ●

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