Colombe Schneck La chronique de●
LES OBJETS
INANIMéS ont davantage de force pour enclencher un souvenir que notre mémoire, et ceux qui nous ont accompagnés pendant notre enfance sont les plus puissants pour nous propulser en arrière.
Stéphanie Lamache, archiviste à l’Imec (Institut Mémoires de l’édition contemporaine), où elle gère les fonds des grands écrivains et cinéastes du XXe siècle, sait rendre sensible, vivant, émouvant ce qui reste de matériel de ce qui est mort.
Elle a été élevée dans une vallée isolée de la campagne normande. Ses parents ont transformé, dans les années 1970, un ancien pressoir à cidre en chèvrerie, avec le projet de fabriquer des fromages de chèvre et d’en vivre. De leur vie d’avant, quand elle était plus aisée – les parents vivaient en ville, dans un appartement –, il reste quelques objets. Parmi eux, et les premiers qu’elle cite sont : « Sept livres reliés. La reliure, c’est le luxe, mais vrai effet. L’autrice porte un nom qui est à la fois une interrogation et une promesse d’ailleurs : Pearl Buck. S’ajoutent le mystère et l’élégance des idéogrammes chinois, réguliers, obscurs, répétés sur le dos de chaque volume. »
Pearl Buck, une auteure aujourd’hui oubliée, que j’ai lue au même âge que Stéphanie Lamache, racontait la Chine d’avant la Révolution. Pour Stéphanie Lamache, ces volumes « étaient les premières briques d’un futur rêvé ». Ce rêve s’est éteint pour ses parents. L’entreprise a fait faillite, la maison a été vendue. Proust nous dit, que « nos plus grandes craintes, comme nos plus grandes espérances ne sont pas au-dessus de nos forces, et nous pouvons finir par dominer les unes et réaliser les autres ». Stéphanie Lamarche, avec ce livre, a atteint une espérance représentée pour nous par Pearl Buck. Celle où une femme nous écrit avec bonté d’un monde lointain.