Madame Figaro

COLOMBE SCHNECK

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JE ME CROIS OUVERTE ET CURIEUSE,

mais j’ai du mal à sortir de ce que j’aime, cela demande un effort. « La paresse n’est pas un outil de l’inconscien­t », m’avait proposé une psy, changer de continent fait peur.

C’est la deuxième année que je suis invitée au Festival du livre africain de Marrakech. La première année, j’ai accepté en pensant au soleil, et j’y ai découvert ces auteurs qui écrivent en français et le « mangent ». J’avais commencé à lire Leïla Bahsaïn chez moi, son écriture chatoyante m’avait gênée, je me disais que ce n’était pas pour moi, j’aime la simplicité. Née à Marrakech, elle enseigne aujourd’hui à Besançon. Pendant les trois jours du festival, elle parcourait lycées et université­s pour parler de son métier, et c’est en écoutant cette belle femme, vive et généreuse, vêtue d’une robe fleurie rouge, que j’ai eu envie de reprendre son roman. Je n’étais plus chez moi mais dans son pays, elle m’ouvrait les portes des maisons.

La narratrice est une fillette qui appartient à la petite classe moyenne, ni riche ni misérable. La meilleure position pour observer tout le monde, la position de l’écrivain. Elle raconte la peur et le désir d’amour. La peur est représenté­e par un voisin, monsieur Jacques. Un Français qui vit dans un immeuble d’Arabes, un Français qui se cache, un Français discret et désagréabl­e, qui reçoit chez lui de très jeunes garçons contre de l’argent. La narratrice est obsédée, elle veut savoir, il est une ombre malveillan­te qui règne sur l’enfance. La pédophilie, la prostituti­on, l’exploitati­on sexuelle de la misère ne sont pas des sujets publics au Maroc, on préfère ne pas parler de ce qui ne va pas. Le roman n’aurait pas plu à certaines autorités. Clandestin­e, l’auteure se faufile donc en robe rouge pour exposer un crime, elle écrit : « Il y a les auteurs de livres et les auteurs de meurtres. Les premiers ne sont qu’une version empêchée

– par trop d’humanisme ou moins de courage – des deuxièmes. » En cela, la littératur­e quitte un continent pour parler au monde entier. ●

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 ?? ?? Ce que je sais de monsieur Jacques, de Leïla Bahsaïn, Éditions Albin Michel, 224 p., 19,90 €.
Ce que je sais de monsieur Jacques, de Leïla Bahsaïn, Éditions Albin Michel, 224 p., 19,90 €.

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