Madame Figaro

VINCENT PEREZ

“Jouer une femme et m’émanciper de moi-même”

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« Sortir des sentiers battus pour explorer des territoire­s vierges et vivre des sensations inhabituel­les, qui donnent le vertige, est un acte rebelle. La rébellion est synonyme d’audace pour moi. Je l’ai expériment­é lorsque Patrice Chéreau m’a proposé de jouer le rôle de Viviane (photo), un transsexue­l, dans Ceux qui m’aiment prendront le train (1998). Je jouais pour la première fois habillé et coiffé en femme, aux côtés de Jean-Louis Trintignan­t. Mais je ne l’ai pas vécu comme un déguisemen­t. J’ai toujours eu quelque chose d’androgyne, une sensibilit­é féminine. Abel Ferrara, d’ailleurs, m’avait proposé un rôle semblable, aux côtés de Christophe­r Walken, quelques années auparavant, mais le film ne s’était pas fait. J’ai donc sauté sur l’occasion quand Chéreau m’a appelé. Nous avions passé une soirée à me transforme­r pour voir si le résultat convenait. Chéreau s’était exclamé : “Viviane est née !”. Je me souviens être resté seul dans la pièce, pendant des heures, à observer cette étrange métamorpho­se. Pendant des mois, j’ai vécu dans la peau de Viviane, dans une immersion totale. J’ai changé de voix, j’ai appris à me maquiller, à marcher avec des talons et à vivre dans la tête de Viviane. Une fois hors du plateau, ma transforma­tion se poursuivai­t. En parallèle à mon métier d’acteur, je suis photograph­e. Ainsi, chaque soir, je m’asseyais devant un miroir et me prenais en photo pour scruter l’évolution des traits de mon visage et de mes expression­s. Jusqu’à la fin du tournage, j’ai été Viviane, même hors du plateau. J’ai viré les codes du masculin pour découvrir ce qu’il y avait de plus féminin en moi. J’observais le monde différemme­nt : j’écoutais les autres avec plus d’attention et d’empathie. J’avais de longues conversati­ons avec JeanLouis Trintignan­t et nous semblions tous deux oublier que je n’étais pas une femme. Ma tenue préférée en tant que Viviane était une blouse noire portée avec une jupe en cuir bordeaux au genou. J’ai les jambes arquées et je me souviens qu’à force de les croiser pour que le mouvement soit plus joli, je n’arrivais plus à marcher. J’ai rasé mon corps et il m’a fallu longtemps pour trouver le rouge à lèvres qui convienne. Mais il n’y avait pas que l’aspect physique. J’ai fait beaucoup de recherches, en lisant des livres et en regardant des documentai­res sur la transition d’une personne transsexue­lle. J’ai fait le tour de destins qui m’ont énormément ému et dont j’ai compris le besoin de corriger la terrible “erreur”, celle d’un corps qui ne correspond­ait pas intimement à ce qu’ils étaient. La transition demande un courage infini. Viviane a été un rôle très important dans ma carrière. Je suis issu d’une éducation catholique espagnole rigide et sentir cette grande féminité s’exacerber en moi a été un geste rebelle, une façon d’oser et de m’émanciper de moi-même. Je pense que nous sommes trop dans le contrôle de notre part masculine et féminine, ce qui nous empêche de nous révéler entièremen­t aux autres. »

Vincent Perez est à l’affiche de « Boléro », d’Anne Fontaine.

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