Madame Figaro

CARLA BRUNI

“Ma vie, elle-même, composée de plusieurs facettes”

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« J’ai toujours été une rebelle. En même temps, je suis quelqu’un qui sait s’adapter

– ce qui n’est pas contradict­oire. À travers mon métier, j’ai compris très vite, par exemple, qu’il était totalement inutile de tenter de se rebeller contre une image publique, à un double qui vous suit (presque un avatar) sur lequel on a peu, voire pas du tout de contrôle. Ma rébellion consiste alors à garder une dimension à part, qui n’appartient qu’à moi. J’ai une vie secrète et j’aime le mystère. J’ai un rapport singulier à l’image publique, sans doute parce que le mannequina­t m’a donné accès à ce statut de représenta­tion très jeune. Ce qui est redoutable, c’est de franchir le rubicon de la notoriété. Il faut se préparer à une certaine dystopie et décider si on est prêt à mener sa vie avec cette image publique. Je l’ai accepté, tout comme j’ai compris que mon image, c’était mon serviteur, pas mon maître. Ce n’est pas elle qui donne le ton. Ce n’est qu’un reflet. J’ai fait assez d’années de thérapie pour ne pas être sensible au mythe de Narcisse, qui préfère son image à lui-même et en meurt. L’histoire de Narcisse met en jeu l’identité et l’altérité : il découvre son image dans le miroir d’une nappe d’eau et en devient dépendant. Il n’accepte plus la reconnaiss­ance de l’autre, préfère l’apparence à la réalité, et il est pris au piège. Je n’ai pas plusieurs identités, mais j’ai une vie avec plusieurs facettes, ce qui a parfois été considéré comme une rébellion en soi. Quelque part, j’ai toujours mené une double vie : j’ai deux pays, deux cultures, deux langues, deux pères, deux noms, deux métiers. Je n’ai jamais cru qu’il fallait choisir entre ma carrière dans la mode et celle d’auteur-compositeu­r et interprète. Je crois que les gens qui aiment ma musique se moquent de mon image. Beaucoup s’intéressen­t à ce que je crée ; d’autres sont plus intéressés par mon personnage public. D’autres encore aiment prédire mes éventuels plantages, mais je n’y prête pas attention. Je me rebelle contre la malveillan­ce, je ne l’écoute pas. Cela ne signifie pas que je ne suis pas morte de peur lorsque je monte sur scène. Je cherche à donner le meilleur de moi, cette part secrète, et forcément vulnérable. Mon miroir est alors le public, mais il est réel. Il me renvoie souvent une gentilless­e d’âme que j’aime infiniment et dont nous avons tous besoin. Ce qui compte pour moi, c’est d’aller vers les gens et qu’ils viennent vers moi. La pire chose, c’est l’indifféren­ce.

Je me suis toujours rebellée contre cet état d’anesthésie. »

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