Madame Figaro

TATIANA DE ROSNAY

“Assumer ma crinière blanche”

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« Ma première révolte a pris forme, à 20 ans, quand je suis partie vivre en Angleterre pour mes études de littératur­e. Les étudiants de mon université, située dans le Norfolk, dans le nord-est du pays, avaient peu en commun avec le milieu bourgeois des quartiers chics parisiens ou anglais où j’avais évolué. La plupart étaient des artistes aux looks anticonfor­mistes, en adéquation avec les codes du rock punk des années 1980. Mon premier acte de rébellion a été de contester mon look de jeune fille sage. J’ai commencé à porter un blouson en cuir noir avec au dos un Fuck the Queen, des colliers avec des lames de rasoir, du vernis à ongles noir et un maquillage outrancier. À la fin de mes études, en 1985, j’ai été embauchée par une grande maison de vente aux enchères parisienne. Le jour, j’étais la fille BCBG et le soir venu, je courais les boîtes de nuit en tenue punk. Déjà à cet âge, j’avais des cheveux gris – les premiers fils blancs ont poussé à mes 19 ans. À 30 ans, j’ai fait ma première teinture complète pour les recouvrir. C’était affreux. C’était surtout une bataille perdue, car mes cheveux blancs repoussaie­nt vite… Dix ans durant, je me suis soumise à cette tyrannie. À 40 ans, j’ai décidé de laisser mes cheveux blancs pousser. Mon mari adorait mes cheveux “poivre & sex”, comme il les nommait. Mais la plupart des gens trouvaient qu’ils me vieillissa­ient horribleme­nt et qu’ils incarnaien­t un symbole de laisserall­er. Je percevais une énorme pression sur l’âge et ces jugements me blessaient, d’autant plus que j’avais encore tout à prouver – je n’étais pas encore une écrivaine reconnue. Malgré tout, j’ai décidé d’assumer mon choix. La peur de l’âge est si présente dans notre société qu’elle dicte nos choix les plus intimes. Même quand, à 46 ans, j’ai sorti Elle s’appelait Sarah, le livre qui m’a révélée au public, ma famille, très axée sur le paraître, m’a conseillé de les teindre pour passer à la télé. J’ai résisté. Je ne porte pas mes cheveux blancs comme un drapeau auquel il faudrait adhérer, mais ils constituen­t depuis vingt ans mon identité et j’en suis fière. J’ai 62 ans et je trouve que mes cheveux blancs, rebelles, prennent une lumière de plus en plus belle. Cette rébellion m’a donné une force en moi. Avant, je voulais correspond­re à des codes. Même durant mon époque punk, finalement je portais une sorte d’uniforme. Cette crinière blanche m’a permis de m’assumer telle que je suis, tout en étant extrêmemen­t coquette. »

Elle vient de publier « Poussière blonde » (Éditions Albin Michel).

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