Madame Figaro

BERTRAND BURGALAT

“Je m’adonnais à un activisme désespéré”

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« Je suis devenu pénible à partir du milieu des années 1970, prenant systématiq­uement le contrepied de mes parents et de leurs conseils. Le conflit de génération­s était exacerbé à l’époque, je faisais du zèle. Je venais de devenir diabétique et, après avoir réalisé que les injonction­s médicales sur le sujet étaient irréaliste­s, j’avais progressiv­ement entrepris de faire n’importe quoi, buvant, fumant, alternant les acidocétos­es, les comas et les hypoglycém­ies, conduisant dès 11 ans sur des petites routes de montagne, tirant au pistolet dans la forêt. À 17 ans, le bac passé entre deux cuites, j’enclenchai­s la vitesse supérieure en m’adonnant à un activisme politique désespéré. J’avais trouvé, avec les solidarist­es, une famille : trois ans plus tôt, un des leurs, Alain Escoffier, s’était immolé dans le hall d’Aeroflot au cri de “communiste­s assassins”, d’autres étaient partis distribuer des tracts et des livres de Soljenitsy­ne sur la place Rouge, avant de soutenir Massoud en Afghanista­n après l’invasion soviétique.

Ce qui m’avait attiré, c’était une révolte antimatéri­aliste, un engagement désintéres­sé, car il n’y avait que des tracas à la clé, probableme­nt aussi un romantisme noir qui ne s’exerçait pas aux dépens des autres, rythmé par des maximes de José Antonio Primo de Rivera comme “La vie ne vaut pas d’être vécue si ce n’est pour la brûler au service d’une grande cause”, ou bien “Nous voulons un paradis difficile”.

Ma famille, épouvantée, m’expliquait que cet engagement me poursuivra­it toute ma vie. Mais cette menace de suicide social avait tendance à me galvaniser : élevé dans le culte de la Résistance, je ne comprenais pas qu’on oppose des calculs de carrière à ce qui me semblait un devoir. Aujourd’hui encore, ce passé lointain est invoqué quand on cherche à me discrédite­r. Je n’ai aucune nostalgie pour ce moment pas spécialeme­nt heureux de ma vie, mais assez peu de remords : c’était la meilleure partie de moi qui était à l’oeuvre. Je garde de ces années une absence totale de préjugés et de jugement en fonction des origines familiales, sociales ou culturelle­s, car il y avait, paradoxale­ment, chez les personnes dont je me sentais le plus proche, une gentilless­e et une ouverture d’esprit que j’ai rarement rencontrée­s dans les milieux profession­nels que j’ai fréquentés par la suite. Mon père est mort en 1983, ma mère il y a vingt-deux ans. Désormais, il n’y a pas une chose que j’accomplis qu’ils n’auraient pas approuvée, je fais même des inhalation­s quand je m’enrhume. Mais j’aurais préféré qu’ils voient ça de leur vivant et qu’ils ne souffrent pas de mon ingratitud­e. J’espère qu’ils lisent toujours Le Figaro, car j’aimerais qu’ils le sachent. »

Bertrand Burgalat sera en concert au Petit Bain, à Paris, le 15 mai.

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