Le jazz mystique d’Alice Coltrane
DEPUIS QUELQUES ANNÉES, LA LÉGENDE D’ALICE COLTRANE, VEUVE DE JOHN, va grandissante : elle a été redécouverte dans les années 1990 et 2000 par une génération de musiciens qui ont vu dans la transe de sa musique une grande modernité. En quête permanente, sa musique explore le genre que son mari avait balisé mieux que personne, mais y adjoint des influences extérieures, notamment la musique indienne, dont elle a vite été férue – elle s’y mettra d’ailleurs pleinement à la fin des années 1970, ouvrant même un ashram en Californie. Mais en 1971, date de ce concert légendaire durant lequel l’accompagnent les saxophonistes de renom, compagnons de route de son mari, Archie Shepp et Pharoah Sanders, mais aussi des musiciens indiens, son art est en transition : puisant pleinement dans un jazz plutôt free, il commence à regarder vers l’hypnose et les répétitions indiennes et orientales. Cette même année 1971, elle passe d’ailleurs plusieurs mois en Inde… La force d’Alice Coltrane, pianiste émérite, harpiste de haut vol et surtout meneuse de groupe inégalée, réside dans l’équilibre qu’elle maintient entre les différentes forces et influences musicales qui peuplent tout au long de ce concert ce qu’elle déploie soniquement : elle joue sur la fragilité même de la matière musicale. Surtout, elle parvient à trouver la justesse entre une puissance parvenue droit des entrailles de John Coltrane et la mélancolie irréductible qui semble la tenir à chaque instant : la moitié du concert est composée de morceaux de son mari, à la façon d’un souvenir qui n’en finit pas de revenir, au milieu des sons, au coeur de la musique.