CapTivanT et sulfureux
LES LIVRES QUI REVISITENT L’HISTOIRE par le prisme de MeToo donnent souvent des choses hybrides et surprenantes. 1873, la révolution industrielle bat son plein à Montréal, comme partout en Occident. Il y a Marie, la fille du propriétaire fortuné d’une raffinerie de sucre, et Sadie qui est en conflit ouvert avec sa famille, aristo fauchée, ne supportant pas son esprit rebelle. Entre les deux fillettes naît une amitié fusionnelle, affection et compétition mêlées. Tandis qu’un prolétariat, femmes et enfants compris, subit des conditions de travail pénibles, les deux péronnelles s’essayent à des jeux dangereux, dont un duel homérique qui vaudra à Sadie d’être envoyée dans un pensionnat anglais. Elles se retrouveront à l’âge adulte, alors que Marie accède à la tête de la raffinerie familiale et que Sadie fréquente un bordel, dans les bas-fonds d’un Montréal fantasmé, qui lui inspire un roman sulfureux.
Un romanesque débridé qui s’autorise des filiations aussi biscornues que secrètes et des rebondissements en tout genre, ainsi qu’une écriture qui caracole, au service du portrait de deux femmes puissantes. Ce qui est passionnant, c’est qu’elles se révèlent dans leur désir d’émancipation, bien souvent aussi répréhensibles que les hommes, et que leurs erreurs leur seront fatales. Ce qui est beau, c’est cette relation qui survit à toutes les trahisons, cette attirance qui n’entre dans aucune case connue, ni vraiment amour ni seulement amitié, et qui élargit les possibles. Ce qui est émouvant, ce sont tous les personnages secondaires rassemblés dans un soulèvement et un espoir révolutionnaire, dont une certaine George, jeune femme qui choisit de n’être ni homme ni femme, mais une personne pleine de bonté.