Colombe Schneck La chronique de●
QUAND MICHELLE ZAUNER éTAIT BéBé, sa mère, coréenne, lui pinçait le nez pour ne pas qu’il soit plat. Quand elle se faisait mal, elle se faisait engueuler. Sa mère était une femme exigeante et difficile, tout son amour passait à travers la cuisine. Elle avait des goûts particuliers, des capacités étonnantes, comme celle de conserver ses pull-overs des années sans qu’ils n’aient aucune bouloche. Adolescente, elle s’est écartée de sa mère, puis celleci est morte d’un cancer, Michelle Zauner avait 25 ans : « La culture que nous partagions était active, effervescente dans mes entrailles et dans mes gènes, il fallait que je m’en empare, que je la nourrisse afin qu’elle ne meure pas en moi. » Elle raconte chaque plat de sa mère, ceux qu’elle cuisinait comme ceux qu’elle aimait, les goûts qui ont accompagné sa vie, comme s’il s’agissait d’une histoire, avec un début, un milieu, une fin. Après la mort de sa mère, dans sa cuisine, copiant une recette sur Internet, elle s’est initiée à la fabrique du kimchi, le chou mariné qui relève les plats de la cuisine coréenne. Elle décrit la belle couleur jaune de ses feuilles, la consolation qu’elle trouve dans les gestes du hachage et du salage. Sur Internet, aussi, une cuisinière lui apprend à cuire le jatjuk, un bouillon de pignons de pin que l’on prépare pour les malades, auquel il faut évidemment ajouter quelques tranches de kimchi pour l’acidité. À la lire, je sens sa saveur « ronde et douce » couler dans mon estomac, le réchauffer comme il l’a fait pour sa mère malade, et celui de sa fille. Il y a une manière, dans la lecture, de manger l’autre, de le faire sien, c’est ce que ce beau récit, sur ce qui fait une vie, les plaisirs et le deuil, nous permet d’éprouver au plus profond de notre ventre.