UNE TRAGÉDIE familiale
« J’AIME LES SOUVENIRS,
ET JE LES DéTESTE. Ils sont notre chair et notre souffle, tout comme ils sont notre chaos et notre déchirure », observe Lolita Chammah dans un récit – son premier – consacré à une expérience indicible : la mort de son deuxième enfant. Kolia, grand prématuré, n’aura vécu que le temps de donner l’espoir à ses parents, à son grand frère, Gabriel, et à toute leur famille qu’il demeurerait sur cette terre au lieu de repartir presque aussitôt. C’est pour dire et d’une certaine façon prolonger l’existence fugitive de ce bébé, évoquer la douleur sans nom qu’elle a éprouvée et combien cette épreuve l’a changée, que la comédienne a couché ce texte sur le papier.
J’ai regardé la nuit tomber mêle adresses à Kolia et à Gabriel, récit sur l’avant, la dernière d’une pièce de théâtre, la conviction que tout va bien puisque des médecins le lui ont répété pendant plusieurs mois, les signes avant-coureurs du drame ; confidences sur l’après, les vacances d’été suivantes dans la maison d’enfance de Saint-Jean-de-Luz, le deuil impossible et qui se fait pourtant, les mots de soutien et de consolation de proches mais aussi d’inconnus. C’est aussi le compte rendu de la tragédie en elle-même, d’autant plus cruelle qu’on a cru plusieurs fois le bébé sauvé, avant que sa perte ne grave à jamais Kolia dans la mémoire des siens et dans la chair de sa mère, qui écrit pour « toutes ces mères et tous ces pères qui n’ont pas les mots », non parce que cela la sauve, mais parce que « notre société n’offre pas de place au chagrin », et qu’il faut que ce déni cesse. Écrire pour dire que le corps des femmes, depuis des siècles et des siècles, porte la vie mais aussi la mort
– ce qu’on passe trop souvent sous silence.