On ose en parler Enceinte, j’ai été abandonnée part le papa
Ce bébé, elles auraient voulu l’attendre à deux. Mais le père est parti à l’annonce de la grossesse. Comment se remet-on de cette blessure terrible ? Cinq femmes ont accepté de nous raconter leur histoire. Avec Astrid Brunswick, psychologue à la maternité de l’hôpital LouisMourier (Colombes) ; et
Boise Anthelme, présidente de l’association Les Cigognes (www. lescigognes.net).
En couple depuis douze ans avec Maxime, Claire s’était laissée convaincre de faire un bébé. Le premier d’une grande et joyeuse famille, croyaitelle. Mais Maxime l’a quittée avant la naissance de l’enfant, incapable d’affronter sa paternité. Les histoires comme celles-ci ne sont malheureusement pas rares, témoigne Astrid Brunswick, psychologue en maternité. Dans sa consultation de l’hôpital Louis-Mourier (Colombes), la spécialiste reçoit régulièrement des futures mamans abandonnées par leur compagnon. « Pour certaines, c’est un soulagement, constate-t-elle. La relation amoureuse était chaotique, elle s’est dégradée à l’annonce de la grossesse, des violences ont commencé à émerger. Finalement, ça les rassure de ne plus avoir cet homme dans leur vie. D’autres en revanche éprouvent un sentiment d’abandon très fort. La rupture est soudaine, brutale, rien ne les avait préparées à cette désertion. Parfois le couple était formé depuis de nombreuses années. »
UNE IMPOSSIBILITÉ À SE REPRÉSENTER COMME PÈRE
Plusieurs années de vie partagée, un futur imaginé en commun… comment expliquer alors que les hommes fuient? Pour Boise Anthelme, présidente de l’association Les Cigognes, un réseau d’entraide né de l’énergie de trois mamans célibataires à destination des femmes seules et enceintes, l’explication tient en un mot : la peur. «C’est une réaction fréquente chez les hommes à l’annonce de la grossesse. Entre nous, nous appelons ça une “crise d’autruchisme”. Aucune histoire ne ressemble à une autre mais il y a quand même une constante. C’est que lorsqu’un homme réagit mal à l’annonce de la grossesse et qu’il commence à parler d’avortement, c’est le début d’une descente aux enfers. Il suffit que la femme ait envie de garder l’enfant pour que ça dégénère. On ne se comprend plus, on n’arrive plus à se parler, un mur s’installe. La femme est désespérée,
triste, amère. L’homme est en colère, il a peur qu’on lui impose cette paternité.» Serait-ce le sentiment d’avoir été piégé qui pousse les hommes à prendre la poudre d’escampette en abandonnant la femme qui porte leur enfant ? Souvent, mais pas nécessairement. « La réalité de la grossesse vient aussi remettre sur le devant de la scène une histoire familiale parfois difficile à affronter, explique Astrid Brunswick. Cela peut suffire à provoquer une crise identitaire et amener l’homme à un passage à l’acte impulsif : tromper sa femme ou la quitter. »
ELLES FONT UN BÉBÉ TOUTES SEULES
Pour la femme abandonnée, la blessure est dévastatrice. «Le départ du père est vécu comme une perte très douloureuse, et ce d’autant plus qu’elle survient dans un moment de grande vulnérabilité psychique et psychologique, observe Astrid Brunswick. Pendant la grossesse, on se défend moins bien de nos émotions, on arrive moins à se protéger de ce qui nous fait mal. » Il suffit de lire les témoignages qui suivent pour s’en convaincre. Pourtant, la plupart des femmes relèvent la tête. Leur meilleur allié? Le bébé qu’elles portent. « L’enfant les aide à surmonter la perte amoureuse, observe la spécialiste. Il est très rare qu’il y ait un rejet de l’en- fant parce qu’il évoquerait le père. Au contraire, la disparition du père sublime le lien à l’enfant. “On est deux, on va se serrer les coudes”, se disent les femmes abandonnées. » En quinze années d’association, Boise Anthelme a rencontré des dizaines de futures mamans seules et en a suivi certaines sur plusieurs années. « Les femmes sont fortes, elles s’en sortent, affirme-elle. Même si certaines restent trop cabossées pour pouvoir refaire confiance à un homme, la plupart reconstruisent leur vie. Elles font d’autres enfants. » Un message plein d’espoir pour toutes celles qui n’en sont pas encore là.