Société
La GPA, grande oubliée de la loi de bioéthique
Classée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) parmi les techniques de procréation médicalement assistée, la gestation pour autrui (GPA) consiste à avoir recours à une mère porteuse quand un couple ne peut pas avoir d’enfant. Interdite en France, la pratique est autorisée à l’étranger, en particulier au Canada et dans certains Etats des Etats-Unis. En Europe, 8 pays sur 28 l’autorisent ou la tolèrent : la Roumanie, l’Irlande, le Royaume-Uni, la Belgique, la Grèce, les Pays-Bas, la Pologne et la Slovaquie. Selon les pays, la mère porteuse peut ou non recevoir une rétribution. Pour contourner l’interdiction faite sur leur territoire, les couples français n’ont d’autre recours que de se rendre dans l’un de ces pays… et c’est ce qu’ils font. On estime que 200 à 300 enfants sont conçus de cette façon chaque année. MAIS QUI SONT CES COUPLES ? Dans leur grande majorité, il s’agit de couples hétérosexuels dont la femme ne peut pas porter d’enfant pour raison médicale (elle est née sans utérus, elle a eu un cancer de l’utérus…). Le couple a alors recours à une fécondation in vitro et fait appel à une mère porteuse pour porter l’embryon. Cette dernière a déjà des enfants, c’est une mère de famille. Le bébé dont elle accouche est l’enfant génétique du couple. Il arrive aussi –dans des cas plus rares – que la mère porteuse fournisse l’ovule. L’autre catégorie ayant recours à une mère porteuse, ce sont les couples d’hommes. Le procédé est identique mais l’ovule est celui de la
mère porteuse. En tout état de cause, la pratique coûte cher, très cher : entre 26 000 et 240 000 € selon les pays. Elle enrichit essentiellement les intermédiaires qui se chargent de mettre en relation les parents et la mère porteuse, ainsi que les avocats, les laboratoires et les médecins. Les mères porteuses, elles, ne perçoivent pas de rémunération mais un dédommagement qui compense la perte de salaire. « Sur les 100 000 à 120 000 € que coûte une GPA aux Etats-Unis, la mère porteuse n’en touche que 20 à 25 000 », souligne Geneviève Delaisi de Parseval, psychanalyste et spécialiste des questions de filiation.
DES ARGUMENTS QUI NE SE RENCONTRENT PAS
D’un côté, le désir d’enfant de couples qui n’ont pas d’autre recours pour devenir parents lorsque la médecine ne peut pas répondre à leur stérilité. De l’autre, une «marchandisation» du ventre de la femme (on loue son ventre pendant neuf mois) qui va à l’encontre du principe d’indisponibilité du corps humain. Rappelons-le : en droit, le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un commerce. On le voit: la GPA pose des problèmes éthiques et moraux extrêmement difficiles à trancher. Alors qu’elle aurait eu toute sa place dans les débats organisés dans le cadre des Etats généraux de la bioéthique, elle en est restée largement absente. Tout au plus le rapport conclut-il qu’aucune position consensuelle n’a pu être dégagée sur la question. On sait donc maintenant avec certitude qu’elle ne fera pas partie de la prochaine loi bioéthique. Mais qu’est-ce qui freine ?
LA MÈRE EST CELLE QUI ACCOUCHE
Geneviève Delaisi de Parseval a son idée sur la question. «Depuis la fécondation in vitro (FIV) en 1984, la maternité corporelle peut être dissociée entre la mère génétique (celle qui donne son ovule) et la mère porteuse (celle qui accouche). C’est une révolution énorme et la société ne l’a pas encore bien digérée. Faites un micro-trottoir et demandez ce qu’est une mère. On vous répondra : celle qui a porté l’enfant dans son ventre et qui l’a mis au monde. Une mère porteuse, c’est presque impossible à se représenter et cela provoque des débats d’une grande violence. Dès qu’on aborde le sujet, les esprits s’enflamment, c’est l’affaire Dreyfus ! » Une guerre civile, des familles qui se déchirent, des amis qui se tournent le dos? On comprend qu’après les affrontements provoqués en 2013 par le mariage pour tous, le gouvernement n’ait pas envie de rallumer le feu.
PAPA… ET PAPA
Mais si la question de la GPA est si sensible, c’est aussi bien sûr parce qu’elle permet à des couples d’hommes de pouvoir devenir parents. « Ça non plus, la société n’est pas prête à l’entendre, poursuit la psychanalyste. Déjà, la parentalité chez les hommes, ce n’est pas facile à admettre. Alors si entre en jeu une troisième personne, la mère porteuse, ça devient impossible à se représenter ! On imagine tout de suite le pire, on se représente les dérives – la possibilité que le couple d’hommes rejette la mère après la grossesse par exemple.» Si on met les deux bout à bout, on comprend mieux pourquoi la GPA est restée hors du champ de la loi ! Il est encore trop tôt pour les esprits. «On mettra encore probablement vingt ans avant que ça se fasse », poursuit Geneviève Delaisi de Parseval. Le temps de quatre révisions de la loi bioéthique… Autant le dire: la légalisation de la GPA, ce n’est pas pour demain.