La grande question
Césariennes « de convenance », oui ou non ?
Selon la dernière enquête nationale de périnatalité*, 20,4 % des naissances en 2016 en France ont eu lieu par césarienne (contre 21,1 % selon l’enquête de 2010). Ce pourcentage regroupe les césariennes programmées (prévues à l’avance lorsque, par exemple, le bébé souffre d’un retard de croissance intra-utérin et que le corps médical juge qu’il sera mieux à l’extérieur du ventre maternel qu’à l’intérieur), les césariennes en urgence, y compris celles décidées pendant l’accouchement (entre autres, lorsque le travail ne progresse plus et que les contractions sont inefficaces), et les césariennes appelées « de confort », « de convenance » ou « sur demande maternelle ». Aucun chiffre n’est disponible sur le nombre de ces dernières mais, aux dires de maints spécialistes de la naissance, elles seraient assez marginales pour le moment. D’après l’association Césarine**, les raisons fréquemment citées par les futures mamans sont : la peur d’accoucher et celle de la douleur ; l’illusion du risque zéro (la césarienne serait une intervention techniquement maîtrisée alors que l’accouchement par voie basse est soumis à l’aléatoire) ; la facilité (l’intervention est planifiée, ce qui permet de s’organiser); et enfin le désir de protéger son enfant d’une naissance difficile (des forceps par exemple). Qu’en disent les médecins ? Les césariennes sur demande maternelle ont-elles leur place dans les maternités ?
*Inserm et Drees. **www.cesarine.org
Comment réagir quand une femme souhaite une césarienne hors raison médicale ? Lui vanter les mérites de
l’accouchement par voie basse? Certes, la césarienne est une opération chirurgicale avec les risques que cela implique, surtout lorsqu’elle est effectuée en urgence, mais l’accouchement par voie basse n’en est pas exempt. Une hémorragie peut survenir, des forceps sont parfois nécessaires (les morbidités maternelle et néonatale sont alors plus élevées), les cas d’incontinence urinaire et/ou anale existent. Par ailleurs, une césarienne peut être décidée en cours de travail. Alors ? On dialogue ! La relation soignant-patient éthique doit être délibérative. En tant que patient potentiel, si je suis malade, je veux qu’on m’explique les raisons d’une
«LES ARGUMENTS DE MA PATIENTE DOIVENT ME CONVAINCRE» Pr Patrick Rozenberg, gynécologue-obstétricien
éventuelle opération ou d’un traitement ainsi que ses effets secondaires, etc. Cette démarche éthique touche toute la médecine et n’est pas réservée à la césarienne. Je suis un médecin et, en tant que tel, je n’ai rien à imposer à ma patiente. Nous ne sommes plus –nous ne devrions plus être – dans une médecine paternaliste. Si une future mère me demande une césarienne, nous discutons ensemble sur les risques et les avantages de chaque mode d’accouchement. Elle me donne ses arguments et s’ils me conviennent, je dis oui. Lorsqu’elle ne me convainc pas, je l’adresse à un confrère.
Il n’y a pas de règle, c’est au cas par cas. Lorsqu’une patiente craint d’accoucher par voie basse et me dit « j’ai peur d’avoir mal », cet argument ne tient pas. Après une césarienne, le ventre est douloureux, on a du mal à marcher et à s’occuper du bébé, etc. Si je lui disais oui, je ne lui rendrais pas service. En revanche, lorsqu’une femme m’explique qu’elle a très peur d’accoucher par les voies naturelles car sa mère souffre d’incontinence anale depuis la naissance de sa fille, j’entends ce qu’elle me dit et j’accepte sa demande. Même chose si elle souffre de vaginisme (peur panique de la pénétration vaginale).
Une césarienne sur demande maternelle est à discuter
avec la future mère. A l’équipe médicale d’évaluer la vraie raison qui se cache derrière le « je veux une césarienne ». Le plus souvent, c’est une méconnaissance de l’accouchement (de ses différentes étapes, de la douleur, des forceps, etc.) qui pousse certaines femmes enceintes à préférer d’emblée une césarienne. Lorsque le sujet du mode d’accouchement est évoqué suffisamment tôt dans la grossesse et qu’on privilégie la discussion, il m’est relativement facile de convaincre ma patiente de l’intérêt de la voie basse, aidé en cela d’une sage-femme et/ou d’une psychologue (de séances de relaxation, d’acupuncture, etc.). Je ne me souviens pas de n’avoir pas pu rassurer une future mère. Les raisons qui me feraient accepter une demande de césarienne hors raisons médicales ? Si la future mère a eu un précédent accouchement traumatique et qu’elle vit psychologiquement très difficilement sa grossesse actuelle. Mais aussi si elle a subi un viol, si une femme de son proche entourage était décédée à la suite de son accouchement…
Entre les césariennes avec indications médicales et les césariennes de convenance, il existe quelques cas intermédiaires. Lors d’un accouchement par le siège, il est tout à fait possible que la future mère accouche par voie basse (sa faisabilité a été vérifiée par une radiopelvimétrie et une échographie) et nous discutons avec elle de ce mode d’accouchement. Si elle est réticente (parce qu’elle a entendu dire qu’une naissance en siège par voie basse était risquée), nous ne pouvons pas aller contre sa volonté. Elle accouchera par césarienne même si médicalement j’estime –et je le lui ai expliqué– qu’un accouchement par voie basse était pertinent. C’est un choix de couple.
«JE PRIVILÉGIE LA DISCUSSION AVANT TOUTE CHOSE» Dr Jean-François Le Digabel, gynécologue-obstétricien