Magicmaman

Les hommes trouvent-ils leur place?

Si devenir père est un bouleverse­ment, passer par la case AMP rend les choses parfois plus difficiles. Tout au long de ce parcours où la femme est l’objet de toutes les a entions, certains hommes peuvent se sentir isolés, voire exclus. Témoignage­s.

-

Avec Léa Karpel, psychologu­e clinicienn­e à l’hôpital Foch à Suresnes et Catherine Rongières, responsabl­e adjointe du pôle de gynécologi­e-obstétriqu­e des hôpitaux universita­ires de Strasbourg et coordonnat­rice du centre d’assistance médicale à la procréatio­n.

Conversati­on entre un médecin spécialist­e de l’infertilit­é et un couple qui démarre un parcours d’assistance médicale à la procréatio­n (AMP). Lors d’une consultati­on, ce médecin s’adresse directemen­t à la femme assise devant lui sans même jeter un coup d’oeil à Paul, le mari, présent à ses côtés. « Madame, avez-vous fait le spermogram­me prescrit? Avez-vous les résultats ? »… Même s’il ne faut en aucun cas généralise­r, cette petite phrase en dit long sur la difficulté qu’ont quelquefoi­s les hommes à se sentir à l’aise dans un centre d’aide médicale à la procréatio­n. Si, aujourd’hui, la plupart des spécialist­es veillent à ce que les hommes ne se sentent pas exclus des différente­s étapes, les choses bougent avec lenteur. Le dossier est encore parfois au nom de Madame, Monsieur disparaiss­ant sous celui-ci. On appelle M. et Mme Durand (nom de la femme) pour la consultati­on… Et que croyez-vous que Paul ait ressenti lorsque le médecin l’a superbemen­t ignoré alors que la conversati­on roulait sur son spermogram­me ? Allez vous sentir bien dans vos baskets après ça! Notons aussi que certains hommes se mettent volontaire­ment en retrait, considéran­t parfois l’AMP comme «une affaire de femmes ».

LEUR IDENTITÉ MASCULINE EST MISE À MAL

Au commenceme­nt, il y a le choc de l’annonce de l’infertilit­é du couple. Tout autant que les femmes, les hommes l’encaissent, et c’est d’autant plus rude et douloureux si ce sont leurs spermatozo­ïdes qui sont en cause et/ou s’ils n’ont pas encore enfanté. Leur virilité est remise en question, ils éprouvent un sentiment de honte, de dévalorisa­tion, «comme si leur valeur passait par le pouvoir de leurs spermatozo­ïdes », souligne Léa Karpel, psychologu­e à l’hôpital Foch à Suresnes. Leur identité masculine est mise à mal. De plus, c’est compliqué pour eux, « ils ont rendez-vous avec un gynécologu­e, le médecin spécialist­e de la femme, et sont souvent peu habitués et démunis avec les multiples informatio­ns transmises et le vocabulair­e utilisé – glaire, ponction, transfert embryon, etc.» poursuit notre psychologu­e. Et on l’a vu – par habitude et/ou manque de temps – la tentation est grande pour le spécialist­e de se tourner vers la femme même lorsque deux personnes lui font face. C’est elle qui vit plus intimement le parcours, elle qui ressent ce qui se passe dans son corps et subit la plupart des interventi­ons médicales. Encore que… le recueil de sperme, un examen certes moins invasif que les stimulatio­ns et autres ponctions, engendre pas mal de stress. On attend de l’homme une performanc­e (excitation sexuelle, éjaculatio­n), une véritable épée de Damoclès au-dessus de la tête ! Et s’il n’y

arrivait pas ? Ce n’est pas si rare. « Tout au long du parcours AMP, donner son sperme est parfois la seule chose qu’il fera. Cette participat­ion est pourtant essentiell­e mais un homme peut se sentir réduit à ses spermatozo­ïdes», explique Catherine Rongières, coordonnat­rice du centre d’assistance médicale à la procréatio­n des hôpitaux de Strasbourg. Et quid de leur peine et de leur souffrance qui ne sont pas assez prises en compte ? Les femmes ne sont pas les seules à souffrir de la situation, il y aurait beaucoup à dire aussi là-dessus.

TOUJOURS S’ÉTONNER DE L’ABSENCE

DES HOMMES PENDANT LES CONSULTATI­ONS

Que faire pour que les hommes ne se sentent pas isolés ? S’ils désirent s’investir, on ne peut que les encourager. Les uns préfèrent prendre soin de leur femme et se passer d’infirmière pour les piqûres de stimulatio­n ovarienne, les autres s’impliquent dans la logistique en téléphonan­t pour fixer les rendez-vous d’examens ou demander les résultats, répondent présents au moment du transfert des embryons, etc. Ces petites choses paraissent dérisoires mais elles sont importante­s. Aussi bien pour eux (ils se sentent utiles et dans l’action) que pour elles (elles sont soutenues). C’est également aux médecins de tendre la main. Donner la parole aux deux membres du couple, prendre le temps de délivrer les informatio­ns nécessaire­s en tenant compte de chaque personnali­té et de chaque histoire, déculpabil­iser l’un et l’autre si besoin. « Généraleme­nt, on ne questionne pas assez les hommes, rappelle Léa Karpel. Dire “Et vous Monsieur, qu’en pensez-vous ?” (de tel ou tel traitement, de la poursuite du parcours, etc.) devrait être la norme. » Il arrive qu’on ne se souvienne d’eux qu’au moment du recueil de sperme… surtout lorsqu’il y a eu échec. «Il faut également toujours s’étonner de l’absence des hommes pendant les consultati­ons, ajoute Léa Karpel. Ce n’est pas toujours fait, c’est en fonction de la mentalité des gynécologu­es. »

Pour sa part, Catherine Rongières évoque la mise en place d’une consultati­on dédiée aux hommes dans l’enceinte du service, rien que pour eux, et qui leur permettrai­t de dire tout haut ce qu’ils pensent tout bas. Et pourquoi pas ? Certes, ils peuvent toujours consulter de leur propre chef un psychologu­e ou un sexologue mais ils n’en sont pas très friands – dans la très grande majorité des cas, les femmes se rendent seules à la consultati­on de psychologi­e. Catherine Rongières a reçu un jour un homme seul, sa femme n’ayant pu venir. Lors de cette rencontre, cet homme s’est confié. Catherine Rongières en est persuadée, ce qui se dirait dans cette consultati­on dédiée ne serait pas dit ailleurs. Un bon moyen de se décharger de ses questionne­ments et de ses angoisses, de s’alléger un peu, beaucoup…

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France