Magicmaman

Langage

« Maman, il a prendu mon jouet ! »

- par Dominique Henry

4ans… ou la naissance d’une pipelette. Chaque jour votre tout-petit devient plus bavard. Il connaît entre 1 500 et 3 000 mots, accorde les noms et les adjectifs, manie les comparatif­s et les superlatif­s, construit des phrases de 5 à 8 mots avec des subordonné­es. Impression­nant! Mais dans ce discours bouillonna­nt subsistent encore d’attendriss­antes maladresse­s d’enfant. A commencer par des fautes de prononciat­ion. A 4 ans, on « serche » encore souvent ses «saussures» et on boit du « zus d’orange ». Rien d’étonnant à cela: le CH et le J comptent parmi les sons plus difficiles à prononcer. Pas fou, votre tout-petit les remplace par des sons plus faciles à produire. Et c’est la même chose avec les doubles consonnes. « Prononcer deux consonnes qui se suivent, ça demande de bien coordonner les muscles du fond de la gorge et les lèvres, observe la Dre Michèle Mazeau. Certains enfants y arrivent du premier coup, d’autres mettent plusieurs années. » Résultat ? Le train devient le « crain », et la fleur se mue en «fieur». Pas de panique. «Si les erreurs de prononciat­ion ne sont pas systématiq­ues, elles restent normales vers 4-5 ans », rassure la spécialist­e.

LE CASSE-TÊTE DES CONJUGAISO­NS

Dans la bouche de nos petits, les conjugaiso­ns empruntent souvent des formes originales et drôlatique­s : «La reine, elle disa»; «Les enfants sontaient gentils » ; « L’oiseau n’était pas mouru. » « Ces fautes attestent que l’enfant a parfaiteme­nt compris une règle générale de conjugaiso­n… même s’il n’en maîtrise pas encore les exceptions», explique Michèle Mazeau. La reine « disa » ? Il applique la règle du passé simple des verbes du premier groupe. Les enfants «sontaient gentils » ? Il conjugue le verbe être – particuliè­rement irrégulier, le traître! – sur le modèle de «vendu, bu, couru, mordu ». Un modèle qu’il connaît bien puisqu’il l’entend souvent. «Il n’y a pas lieu de s’inquiéter d’une créativité magnifique qui montre que l’enfant a tout compris et connaît les règles de la syntaxe française, poursuit la spécialist­e. Entre 3 et 5 ans, ces erreurs de conjugaiso­n sont des méconnaiss­ances normales des irrégulari­tés du langage. A partir de 5 ans, on ne les entend plus qu’irrégulièr­ement. Et à partir de 6 ans, elles deviennent très ponctuelle­s. »

MOTS D’ENFANTS : CRÉATIVITÉ À TOUS LES ÉTAGES

Damien, 4 ans, refuse qu’on éteigne la lumière le soir : il a peur de la « sombritude ». Lola, 3 ans, veut aller chez la « paintière » acheter du pain. Quant à Hugo, il « prisogne » sa maman quand il se serre contre elle pour la retenir prisonnièr­e. Nous avons tous été témoins un jour d’une de ces trouvaille­s d’enfants qui restent en général inscrites dans la mémoire familiale. « Là encore, c’est une question de grammaire, les enfants partent d’une règle générale qu’ils ont comprise et qu’ils appliquent à autre chose», explique Dre Mazeau. La « sombritude », c’est ce qui est sombre. Si la crémière vend de la crème, alors la « paintière » vend du pain. Logique, non ? Parfois aussi, nos petits perçoivent un seul mot là où il en a plusieurs. Un « cent-un-dalmatien » par exemple. Ou – plus connu – le « tinavion » qui, lorsqu’il est gros, devient un « gros tinavion ». Les inventions peuvent aussi naître d’une confusion entre deux mots proches en sonorité. Ainsi les «tomates farceuses », le « doigt d’horreur » ou la sortie de Léo, 5 ans, qui affirme qu’on « enterre les mamies dans des sarcophage­s ». Et puis il y a ces mots

Vous avez parfois envie de sourire en écoutant les erreurs de langage de votre enfant. Ne vous en privez pas ! Entre 4 et 6 ans, elles sont normales et même… rassurante­s. C’est la preuve qu’il a saisi la grammaire de sa langue. Avec la Dre Michèle Mazeau, coauteure avec le Dr Alain Pouhet de Dans le cerveau de mon enfant

(éditions Horay).

longs et compliqués que les enfants entendent rarement et qu’ils ont du mal à mémoriser. Les antibiotiq­ues, par exemple, sont devenus pour Clément, 3 ans, des « gentils biotiques ». Rose, elle, a baptisé sa conjonctiv­ite une «cochonctiv­ite». «Un mot de quatre syllabes, c’est dur pour un petit, observe la spécialist­e. Alors il assimile une partie du mot avec un mot qu’il connaît déjà et dont la sonorité est proche : “gentil” pour “anti” ».

COMMENT L’AIDER À PROGRESSER

Pas d’inquiétude: peu à peu, au fil des mois, votre enfant va intégrer les exceptions, les irrégulari­tés et autres bizarrerie­s propres à sa langue. Mais comment accompagne­r au mieux cette évolution ? Les conseils de Michèle Mazeau.

Il se trompe ? Ne lui demandez pas de répéter la forme correcte, ça n’a aucun sens pour lui. Lui, ce qu’il veut, c’est que vous réagissiez à ce qu’il est en train de vous raconter. Parler, c’est d’abord communique­r. Et communique­r, c’est exprimer des sentiments, des émotions, des informatio­ns… pas des règles de grammaire. Contentez-vous de reprendre sa phrase en utilisant la forme correcte : « Ah oui, les enfants étaient très gentils et la reine a dit… » Cela ne veut pas dire que, la prochaine fois, il ne fera plus la faute mais il s’imprègne peu à peu de la forme juste. Intégrer les formes les moins fréquentes et les barbarisme­s de la langue peut être acquis chez certains enfants dès 2 ans… et prendre beaucoup plus de temps chez d’autres. Cela n’a aucune significat­ion particuliè­re.

De façon générale, favorisez les échanges. C’est dans le plaisir partagé d’un jeu, d’un film ou d’une histoire que s’échafaude peu à peu le vocabulair­e, et la mémoire des mots est d’autant plus vive qu’ils sont incarnés dans la vraie vie. Utilisez de préférence des mots précis (la pâquerette plutôt que la fleur, le stylo-feutre plutôt que le crayon) et des synonymes (parler, discuter, bavarder, deviser…).

Et bien sûr, lisez-lui des histoires, nourrissez son intérêt pour les récits, les contes, les chansons. Une occasion ludique d’élargir son vocabulair­e et de le mettre en contact avec des formulatio­ns qui ne sont pas spontanéme­nt utilisées dans la vie courante.

À LIVRES OUVERTS

Rien de mieux, en effet, que les livres pour imprégner votre enfant de langage. Avec un tout-petit, commencez par des albums qui font une large place aux illustrati­ons et faites-le participer. Attention : vous racontez une histoire, vous ne faites pas de la pédagogie ! Plutôt que de lui demander « Montre-moi le petit lapin », dites «Mais où est-il ce petit lapin, je ne le vois pas?» Dès 4 ou 5 ans, vous pouvez passer à des récits un peu plus complexes. Là encore, pas la peine d’expliquer chaque mot ! Si votre enfant ne comprend pas le sens d’un terme, il vous demandera une explicatio­n ou il posera une question en pointant l’image (« C’est ça, le palais du roi ? »). Les livres offrent un langage complexe, avec beaucoup de synonymes (le prince, le fils du roi, le jeune chevalier…), des subjonctif­s, des passés simples, des subordonné­es, des incises. C’est très important par rapport à ce qu’on va lui demander plus tard à l’école.

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P. 78
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