La grande question
Faut-il légaliser le test ADN de paternité ?
La France est le seul pays d’Europe à l’interdire mais ne peut empêcher qu’on fasse le test via Internet. Chaque année, entre 10 000 et 20 000 Français s’adressent aux laboratoires étrangers pour confirmer une paternité. Alors on fait quoi ? L’avis de nos spécialistes.
Est-il le père ? Ne l’est-il pas ? Parfois, le doute est permis. Et en France, pas facile d’en avoir le coeur net ! Contrairement aux autres pays européens où le test ADN de paternité peut être réalisé de manière totalement privée (sur la base du consentement écrit de ses participants), chez nous, il est strictement encadré par la loi. Seul un juge d’instruction peut en effet décider de l’utilité ou non de procéder à un test pour établir – ou contester – un lien de filiation et il n’existe pas plus d’une quinzaine de laboratoires officiellement agréés. Malgré
la difficulté, 1300 à 1500 tests sont effectués en France chaque année dans le cadre de la loi. Il s’agit généralement de femmes qui veulent obliger le père à verser une pension alimentaire ou d’hommes qui souhaitent prouver leur paternité pour obtenir la garde conjointe de l’enfant.
LES TESTS GÉNÉTIQUES LES PLUS VENDUS SUR LE NET
Mais l’obstacle juridique se contourne facilement. Avec Internet, en effet, il est devenu très facile de se procurer un test en passant par des laboratoires étrangers, suisses, belges, espagnols ou britanniques. Et ce pour une somme modique : à partir de 169 €. Pourquoi s’en priver ? On estime que 10 000 à 20 000 Français sautent le pas chaque année. La démarche est simple : il suffit de passer un coton-tige à l’intérieur des parois de la bouche du père présumé et de l’enfant pour recueillir un échantillon de salive, puis de l’envoyer pour analyse. Une semaine plus tard, le résultat tombe. La comparaison des deux fragments d’ADN confirme avec une certitude de 99,99 % la paternité ou l’exclut à 100 %. Une révélation qui change tout pour les familles mais qui reste sans effet sur le plan juridique… Et peut même coûter à celui qui pratique le test 15 000 € d’amende et un an de prison. Est-il juste de refuser à celui qui le souhaite de vérifier qu’il est – ou pas – l’enfant de son père/le père de son enfant ? D’un autre côté, fautil prendre le risque de faire exploser les familles avec des révélations fracassantes, surtout quand on sait qu’un enfant sur trente ne serait pas l’enfant de son père (selon une étude publiée dans The Lancet) ? Et puisque la possibilité de recourir au test de paternité existe à nos frontières, ne faudrait-il pas harmoniser la loi française avec celle de ses voisins européens ? L’avis de nos deux spécialistes.
IL FAUT RESTER COMME ON EST SUR LE PLAN JURIDIQUE
Geneviève Delaisi de Parseval, psychanalyste, auteure de La part du père (Seuil). La loi française telle qu’elle est fonctionne très bien. Ce serait un grand danger de laisser croire que la paternité est définie par le biologique. Que c’est la goutte de sperme du coït fécondant qui fait le père et que tout le reste de la vie (les années d’éducation, l’amour, la relation) ne compte pour rien. La confusion n’est déjà que trop répandue. Même dans les colloques de spécialistes, quand on parle du donneur de sperme, on en vient facilement à parler du « vrai père » ! Un test ADN permet de connaître le père génétique… mais génétique dans quelles conditions ? Cela peut être aussi bien une histoire d’amour de plusieurs années qu’un coup d’un soir. La vérité génétique n’est qu’un élément parmi d’autres et la paternité ne peut être évaluée que par un juge.
Les tests sont en vente libre sur Internet et on n’empêchera personne d’y recourir. Mais tant qu’ils n’ont pas de valeur légale, ils ne permettent pas de se présenter devant un juge en disant « cet homme est mon père » et en réclamant tout ce qui en découle (reconnaissance officielle, attribution du nom de famille, héritage…). La loi garantit la paix dans les familles.
LAISSONS TOMBER L’INTERDICTION
Caroline Mécary, avocate aux barreaux de Paris et du Québec. Il y a un moment où une loi devient inapplicable en raison de l’évolution de la société et perd toute efficience. Il vaut alors mieux accompagner une modification législative. Actuellement, la loi est impuissante à empêcher quiconque de faire un test. Alors autant laisser tomber l’interdiction et le permettre.
Actuellement les tests ne sont pas reconnus légalement mais rien n’interdit d’en faire état lorsqu’on plaide un dossier de reconnaissance en paternité. On dit au juge « Ma cliente a eu des relations intimes avec Monsieur entre telle et telle date, sachez qu’on a fait un test qui est avéré à 99,99 % » Le juge va vous dire qu’il récuse ce test… mais il a entendu et enregistré l’information. Je trouverais normal que le test puisse être un élément d’appréciation dans une procédure de reconnaissance en paternité, quitte à le faire valider par une expertise génétique ordonnée par le juge pour s’assurer de sa fiabilité et du fait qu’il a bien été réalisé par cet homme-là et sur cet enfant-là. Attention: avoir recours à un test génétique ne doit pas permettre d’établir un lien de filiation sur cette seule base. Il faut respecter les règles des procédures d’action en recherche ou contestation de paternité. Je suis personnellement défavorable au fait de fonder la paternité uniquement sur le lien biologique. Le biologique est un élément, bien sûr, mais il y a aussi un élément social. Il faut tenir compte des deux et le juge est là pour ça. Et c’est pour ça que les actions judiciaires sont limitées dans le temps. La loi protège l’enfant pour garantir une sécurité du lien de filiation. On ne va pas venir demain dire à un enfant « Ce monsieur est ton père » alors qu’il en a peut-être déjà un depuis trente ans. En outre, elle limite les procédures de recherche ou de contestation de paternité dans le temps (globalement, dix ans à compter de la majorité de l’enfant). Au-delà d’un certain nombre d’années, cela n’a plus de sens.
EN CONCLUSION
Bien que décalé par rapport aux autres pays européens, le dispositif législatif français permet de ménager un juste équilibre entre le droit de faire établir en justice sa filiation biologique et le droit de chacun au respect de sa vie privée. Interrogé en décembre 203 sur une éventuelle modification de la loi, le ministère de la Justice a répondu qu’il n’en était pas question. La stabilité des familles est peut-être à ce prix ?