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La grande question

Sortie précoce de maternité : est-ce une bonne idée ?

- par Claude de FaØ

La durée du séjour à la maternité est variable d’un établissem­ent à l’autre. En moyenne et selon la dernière enquête de périnatali­té (2016, Inserm/ Drees), il est de 4,0 jours. 20,5 % des nouvelles accouchées y séjournent trois jours, 41,6 % quatre jours, 19,7 % cinq jours et 14,8 % restent plus de six jours. Après leur sortie, toutes les mères – elles ne le savent pas toujours – peuvent bénéficier des visites d’une sage-femme libérale jusqu’au 12e jour après l’accoucheme­nt, autant de fois que nécessaire. La sage-femme intervient auprès de la maman et du bébé : elle surveille les débuts de l’allaitemen­t et la cicatrisat­ion du cordon, prescrit un traitement si nécessaire, enlève fils et agrafes, remonte le moral, etc. Ces consultati­ons sont remboursée­s à 100 % par l’Assurance maladie – à 70 % après les douze jours.

Le séjour à la maternité est vécu différemme­nt selon les femmes. Certaines n’ont qu’une envie à peine après avoir accouché: rentrer chez elles rapidement, se sachant bien accompagné­es. D’autres, un peu débordées par la nouvelle tâche qui leur incombe, préfèrent profiter à fond de ces quelques jours hors du temps, voire de le prolonger. Sur ce dernier point, elles auront du mal, l’heure est davantage aux économies qu’au cocooning dans les établissem­ents de santé. Depuis 2010, l’Assurance maladie a mis en place le Prado (Projet d’accompagne­ment du retour à domicile). Imposé aux profession­nels sans aucune concertati­on avec eux. Il propose aux nouvelles accouchées, après accord de l’équipe médicale, une sortie dite précoce, c’est-à-dire dans les 24 à 72 heures suivant un accoucheme­nt par voie basse (dans les 96 heures après une césarienne). Une première visite d’une sage-femme libérale est alors organisée dans les 24 heures. De l’avis de beaucoup de profession­nels de la naissance, l’objectif du Prado est clairement de faire des économies sur le dos des femmes, même si au départ il est censé améliorer leur prise en charge. Un moyen de faire pression sur les jeunes mamans pour les inciter à quitter plus tôt la maternité et libérer des lits ? Est-ce si facile pour une femme, lorsqu’elle est vulnérable et déstabilis­ée par ce qu’elle vient de vivre, de dire «non» quand on l’invite « gentiment » à rentrer chez elle en bénéfician­t des services d’une sage-femme (elle y a droit de toute façon)?

Une sortie précoce se définit par un retour à la maison avant trois jours pleins à la maternité

«CE N’EST PAS TRÈS ADAPTÉ À UN PREMIER ACCOUCHEME­NT» Maud Boggio, sage-femme libérale

(exemple: si vous sortez un jeudi à 11 heures alors que vous avez accouché le lundi précédent à 18 heures). Pourquoi pas pour une maman sereine venant d’avoir son deuxième ou troisième

enfant. Elle «connaît la musique» a priori et, si elle est bien entourée à la maison, je n’y vois aucun inconvénie­nt. Elle sera probableme­nt mieux chez elle à être dorlotée par son entourage.

En revanche, j’émets de nombreuses réserves pour une femme qui vient d’accoucher de son premier enfant.

Celle qui n’a aucune idée de ce qu’est un nouveau-né qui pleure beaucoup et réclame à boire toutes les deux heures (c’est le cas de la plupart des jeunes parents)… Celle qui est seule avec un aîné d’à peine 2 ans (le compagnon est reparti travailler et la grand-mère est au travail) et celle qui est en plein désarroi (chamboulée par l’accoucheme­nt et son nouveau rôle de mère)… Le pédiatre signe le bon de sortie lorsque le nouveau-né est en bonne santé et a repris son poids de naissance. Mais quid de la mère ? A-t-on déjà checké son taux de fer (s’il est bas, grande fatigue à la clé) ? La sage-femme – occupée à de multiples tâches et s’occupant de plusieurs accouchées en même temps – a-telle eu le temps de s’apercevoir si sa patiente « baby-bluesait » ou bien était épuisée ?

Quand on sort de la maternité à moins de 3 jours, la montée de lait n’a pas encore eu lieu.

Difficile et déstabilis­ant de vivre cela seule à la maison. L’allaitemen­t peut être compromis, la perte de confiance en soi s’installe. Quand on sort à moins de 3 jours, l’ictère du bébé peut encore s’aggraver et les sages-femmes libérales ne sont pas équipées du Bilicheck® (environ 3 000 €), un appareil qui contrôle le taux de bilirubine. Un taux élevé peut avoir des conséquenc­es graves pour le cerveau de l’enfant.

La personne (une administra­tive) venant vendre le Prado aux nouvelles accouchées à la maternité, que sait-elle de la fragilité de celles qu’elle visite et incite à sortir plus tôt? Qui mieux qu’une profession­nelle de la naissance pour donner son avis ?

La maternité, c’est le lieu et un temps de rencontre entre une maman et son nouveau-né,

une rencontre physique mais aussi psychique et affective. Protégée de la vie quotidienn­e, la mère peut faire tranquille­ment connaissan­ce avec son enfant. Quatre jours ne sont pas de trop pour commencer à s’apprivoise­r mutuelleme­nt ! Elle est toute à lui, n’a que lui à penser avec le soutien de l’équipe médicale pour répondre à ses questions, l’écouter, lui donner confiance en elle. C’est très important. Sortir précocemen­t de la maternité, c’est s’extraire du cocon, retrouver trop vite la charge d’une maison et se faire happer par les aînés quand il y en a. Les deux visites d’une sage-femme à domicile ne sont généraleme­nt pas suffisante­s (à voir au cas par cas bien sûr).

Avoir déjà été maman ne change rien à l’affaire, selon moi.

En effet, mettre au monde un bébé est toujours un bouleverse­ment, qu’il soit le premier ou le troisième de la fratrie. D’autant que chaque enfant est différent, qu’une femme peut être fragilisée parce qu’elle a une fille alors qu’elle voulait un garçon, qu’elle a vécu des choses difficiles l’année précédente, etc. Les dépression­s du post-partum ne surviennen­t pas qu’au premier enfant.

«C’EST UN TEMPS DE RENCONTRE AVEC SON BÉBÉ» Séverine Dagand, psychologu­e spécialisé­e en périnatali­té

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