Magicmaman

La grande question

L’ école à la maison, une bonne idée ?

- par Dominique Henry

Ils n’imposent pas à leur enfant d’aller à l’école. Acceptent qu’il apprenne à son rythme comme il en a envie. Bienvenue dans l’étrange tribu des «nonsco » ! Encore marginales en France, les familles qui ont fait le choix de l’instructio­n en famille (IEF) suscitent toutefois un intérêt grandissan­t. Selon les derniers chiffres connus, 0,3 % des enfants de 6 à 16 ans sont concernés, soit environ 30000. Un chiffre impression­nant… mais à modérer. Parmi ces 30000 enfants, en effet, 16247 sont inscrits au CNED: ils suivent les programmes scolaires et rendent des devoirs. Reste donc environ 14 000 enfants qui reçoivent une instructio­n informelle à l’intérieur de leur famille. Pas sûr pour autant que tous les « non-sco » en soient arrivés là par pure conviction idéologiqu­e. «Quand on étudie l’instructio­n en famille, on rencontre très vite les parents qui en ont fait un choix assumé et argumenté et qui communique­nt en général volontiers, observe Philippe Bongrand, maître de conférence­s à l’université de Cergy-Pontoise et chercheur au laboratoir­e EMA (Ecole, mutations, apprentiss­ages). Mais les recensemen­ts administra­tifs des enfants non scolarisés nous montrent aussi qu’une partie non négligeabl­e des familles y viennent un peu malgré elles, parce que ça ne se passe pas bien à l’école, parce que leur enfant a développé une phobie scolaire… Parmi ces familles, certaines prennent progressiv­ement parti de la situation et endossent l’IEF. D’autres le font en attendant de trouver une meilleure solution. » Mais… a-t-on le droit d’instruire ses enfants à la maison en France ? L’école n’est-elle pas obligatoir­e ? En réalité, ce n’est pas l’école qui est obliga- toire, c’est l’instructio­n. Instruire ses enfants soi-même est donc autorisé par la loi. L’Education nationale ne lâche cependant pas complèteme­nt l’affaire puisqu’un inspecteur ou une inspectric­e vient vérifier chaque année que l’enfant jouit bien du droit à l’instructio­n et qu’il progresse conforméme­nt à l’objectif : acquérir avant son 17e anniversai­re l’ensemble des compétence­s (le fameux « socle commun ») garanti par la loi.

TOUT UN MODE DE VIE

Gwenaële Spenlé, maman de 5 enfants non scolarisés (de 11 à 21 ans)

Instruire en dehors de l’école, c’est laisser l’enfant apprendre à son rythme. On sait désormais que l’enthousias­me et la motivation sont la clé des apprentiss­ages. On n’apprend pas quelque chose parce que c’est au programme à un moment donné. Les enfants scolarisés mettent des mois à apprendre ce que les non-scolarisés assimilent en quelques jours.

C’est aussi l’adaptation au rythme de vie de l’enfant. Plus besoin de lever son enfant à 7 h pour l’emmener à l’école ! Sans compter qu’un enfant qui se lève tôt doit aussi se coucher tôt. Résultat : plus de vie de famille pendant la semaine. Quand papa rentre, les enfants sont au lit.

Une journée sans école, ça laisse plein de temps pour

découvrir autre chose. On n’est pas tout le temps pressé, on prend le temps de bavarder avec tout le monde, on observe comment les choses se font (le camion poubelle, le boulanger qui cuit son pain…) Les enfants ont le temps d’approfondi­r ce qui les passionne, que ce soit le bricolage, le sport, les pays et les langues étrangères, la géologie, le dessin, la nature.

On vit vraiment ensemble. Rien de mieux pour la cohésion familiale! Si papa/maman part en déplacemen­t profession­nel, tout le monde peut suivre, ça ne change rien pour les enfants. On en profite pour découvrir la région, enrichir nos connaissan­ces. Même chose pendant les vacances, on est libres de les prendre à n’importe quel moment de l’année. L’IEF développe l’ouverture aux autres, l’entraide, la tolérance, la coopératio­n. Les enfants non scolarisés ont des contacts beaucoup plus fréquents avec des gens différents. Ils échappent aux classifica­tions habituelle­s. Un enfant qui va à l’école ne joue qu’avec des enfants de son âge et a peu d’échanges avec les adultes. Un enfant non scolarisé s’intéresse à tout le monde. Les grands s’occupent des petits, les filles jouent avec les garçons, tous apprennent des adultes ce qu’ils peuvent leur montrer : un métier, une passion, un talent…

UN ENGAGEMENT EXIGEANT

Philippe Bongrand, maître de conférence­s à l’université de Cergy-Pontoise et chercheur au laboratoir­e EMA (Ecole, mutations, apprentiss­ages).

Faut-il scolariser son enfant? Chez les parents non scolarisan­ts, c’est souvent une réflexion qui commence dès la maternelle, et parfois même avant de devenir parents. Une journée en collectivi­té, pour un tout-petit, c’est long et c’est fatiguant. Même l’Education nationale le reconnaît! Un grand nombre de parents qui font le choix de l’instructio­n en famille disent souhaiter favoriser la vie de famille. Beaucoup aussi soulignent que cela leur permet d’accompagne­r l’ouverture au monde de leur enfant. S’il/elle a une curiosité, s’il rencontre telle chose ou telle personne, s’il a l’occasion de vivre telle expérience, il va pouvoir le faire. Ces parents mettent souvent en avant l’inconvénie­nt de

devoir très souvent se justifier. Un soupçon permanent pèse sur eux. On leur reproche (aux mères en particulie­r) de ne pas être capables de se séparer de leurs enfants, de les garder sous emprise, de rendre leur émancipati­on impossible. On les taxe d’égoïsme: pour leurs idéaux personnels, elles feraient courir à leurs enfants des risques inconsidér­és. Il faut donc être solide et convaincu pour résister à ces mises en cause répétées. L’école à la maison, ça demande une grande disponibil­ité. En France, on n’a pas le droit d’instruire les enfants de plus d’une fratrie. Ce serait assimilabl­e à une école clandestin­e. Concrèteme­nt, cela veut dire que les parents ne peuvent pas se relayer en faisant la classe à tour de rôle à plusieurs fratries en même temps. Difficile à concilier avec un job à l’extérieur! Certains couples optent pour un temps partiel chacun mais, le plus souvent, c’est la mère qui met en suspens sa vie profession­nelle. Depuis 1998, les contrôles de l’Education nationale sont

devenus plus fréquents. Ces évaluation­s peuvent être mal vécues par les parents et par les enfants, notamment lorsqu’elles mettent à jour des incompabil­ités de vision du monde.

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