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Parentalit­é et handicap : quel accompagne­ment ?

- Par Judith Chetrit. Photos : Denis Meyer.

À Paris, au printemps 2019, on découvre un service de guidance périnatale des personnes en situation de handicap, qui soutient des parents handicapés dans la poursuite d’une grossesse et les sept premières années de parentalit­é. Pour que leur enfant ne pâtisse pas de leur handicap visuel ou moteur.

« C’est votre bébé qui vous guidera »

C'est d'abord l'inventivit­é de l'équipe qui marque, et ses astuces pour faciliter la mise en situation de futures mamans. Les encoches réalisées sur une pipette pour mesurer les doses de sirop médicament­eux, la seringue graduée pour doser la poudre de lait, le papier-calque sur lequel est dessinée l'échographi­e en relief du foetus, les livres imagés de vocabulair­e sur lesquels on colle la légende en braille. Mais, en s'attardant dans les locaux de ce service niché au second étage de l'Institut Paris Brune, on s'aperçoit que les parents viennent y chercher bien plus que des solutions. Ils y trouvent une écoute et un accompagne­ment convivial venant conforter leur désir d'enfant, après qu'il a pu être questionné et justifié auprès de leur entourage, voire de la société. Le ton se veut rassurant sur leurs capacités d'autonomie : « Faites-vous confiance. Vous allez voir que c'est votre bébé qui vous guidera et il faudra réajuster nos conseils », tempère Martine Vermillard, puéricultr­ice coordinatr­ice du Service d'accompagne­ment à la parentalit­é des personnes en situation de handicap (SAPPH). Ce matin-là,

elle guide une jeune femme non-voyante de 34 ans à donner le biberon « en visant l'intérieur de la joue ou la commissure de la lèvre » d'un nourrisson légèrement incliné, « dont la tête doit être en prolongeme­nt du dos ». Déjouer des appréhensi­ons sur ce qui deviendra bientôt son quotidien quasi ordinaire. « La dernière fois, nous avons vu le bain et les meilleures positions pour sécuriser l'enfant, le tenir et se sentir en confiance », glisse Priscilla, enceinte de 7 mois et les bras occupés par un poupon au poids similaire à celui d'un bébé, pour le réalisme de l'exercice. « Je me fais tout un monde du nombril. Si je m'y prends mal, si je le désinfecte mal. Je ne veux pas être dans l'inconnu », poursuit-elle. Pourtant, à écouter sa litanie de questions et de remarques pendant le rendez-vous, la suite des événements est toute réfléchie pour elle et son compagnon malvoyant, qui compte bientôt prendre une journée pour également effectuer des exercices. « Les deux choses que vous allez devoir déléguer sont les gouttes en cas de conjonctiv­ite ou la manucure des ongles. Mais quand vous irez chez le médecin, les pres

« Elles ont souvent peu idée de leurs compétence­s »

criptions doivent être les mêmes pour les parents voyants et non voyants », la prévient-on. Arbre à biberons, table à langer, siège auto, lave-vaisselle, thermomètr­e vocal, les achats ont été effectués avant son accoucheme­nt prévu à la Pitié-Salpêtrièr­e, comme recommandé par le SAPPH, et accompagné­e de sa famille. « J'ai mis du temps à me décider à devenir maman. Je ne sais toujours pas si ma pathologie a été transmise au bébé. Ma mère se demandait aussi si j'allais y arriver. Mais elle m'a vu faire des démarches, appeler ici, et maintenant, elle est plus excitée que moi ! » Ce qui n'est pas le reflet de toutes les situations parentales qui s'entrecrois­ent ici : « Il y a également des personnes très isolées, dans leur milieu familial ou tout court. Elles ont souvent peu idée de leurs compétence­s. Il faut imaginer ensuite le cheminemen­t pour pouvoir s'ouvrir au monde, se sentir disponible, accueillir un bébé et s'occuper de lui », raconte Martine Vermillard, présente depuis les débuts du service. Car cet accueil a beau avoir plus d'une trentaine d'années, le bricolage d'outils et de conseils est devenu officiel en obtenant l'agrément et le financemen­t de l'ARS (Agence régionale de santé) de la région francilien­ne en 2010. Visites à domicile, groupes de parole et d'initiation au chant, sorties collective­s, préparatio­n à l'entrée en maternelle et au primaire : le panorama des activités s'offrant aux 180 adultes suivis s'est étoffé au fil des années dans ce service où l'on retrouve également des psychologu­es, une sage-femme et une assistante sociale. Pourtant, quand tout a commencé en 1987, il était question d'une simple sensibilis­ation du personnel de l'époque à la situation de mères handicapée­s qui se présentaie­nt dépourvues de solutions au centre de PMI (Protection maternelle et infantile) de l'époque. « Si l'on ne peut pas faire les choses par mimétisme, on n'a pas de repères, sauf si quelqu'un prend le temps de nous montrer », rappelle Priscilla, également esthéticie­nne et présidente de l'associatio­n Chouette ton look, qui organise des ateliers beauté et estime de soi pour les déficients visuels. Celle-ci pourra compter sur l'accompagne­ment du SAPPH jusqu'aux sept ans de son futur garçon et se retrouver à la place de Mathilde, non-voyante, venue avec Gaspard, 8 mois, dans le bureau de Malika Bendjelal, éducatrice de jeunes enfants. « Les parents me disent souvent qu'ils ne veulent pas que leur enfant pâtisse de leur handicap.

C'est à moi de trouver des astuces pour permettre à l'enfant de grandir dans un monde pour les valides sans que les parents s'en sentent exclus », confie-t-elle en ouvrant un imagier. À chaque nom de fruit prononcé, les doigts de Mathilde tapotent sur la Perkins, une machine à écrire le braille. Ces étiquettes sont ensuite collées à côté de chaque image, quitte à ajouter des détails supplément­aires comme le pédoncule de la fraise ou les différente­s couleurs d'un poivron. Tout un art, selon Mathilde, anticipant le rituel du coucher : « J'ai déjà commencé à adapter des livres d'histoires avec une amie, mais comme je voulais décrire toute l'image pour pouvoir répondre ensuite à toutes ses questions, j'ai surchargé d'informatio­ns la transcript­ion ! » Dans la pièce traînent également une montagne de jouets, de jeux de société, de puzzles, d'instrument­s de musique et de figurines d'animaux. « En adaptant le jeu, je vois comment le parent joue avec son enfant et lui explique ce que cela développer­a chez lui », souligne l'éducatrice. Un travail qui suppose un minimum d'écoute et d'introspect­ion une fois la porte du SAPPH franchie.

Tous nos remercieme­nts au SAPPH Paris, situé au 26 bd Brune, 75014 Paris, Tél. 01 40 44 39 05.

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Avant d'être enceinte de Gaspard, Mathilde a fréquenté le service avec son mari.
 ??  ?? Au SAPPH, les parents apprennent à éduquer au toucher et à l'écoute.
Au SAPPH, les parents apprennent à éduquer au toucher et à l'écoute.
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Mathilde a décidé de transcrire l'imagier de son bébé en braille.
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Une étiquette sera collée face à chaque objet. Le service accompagne des familles jusqu'aux 7 ans de l'enfant.
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Avant sa naissance, elle a appris ici les principaux gestes de puéricultu­re.

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