Violences conjugales. La grossesse est un catalyseur
Le 25 novembre dernier, le gouvernement a présenté plusieurs mesures censées contrer les violences conjugales, qui souvent apparaissent ou s’intensifient avec la grossesse. Qu’est-ce qui fait plus particulièrement d’une femme enceinte une victime potentielle, et révèle, en certains futurs pères, un agresseur ?
Comment peut-on expliquer les violences conjugales et ce, d’autant plus pendant la grossesse ? Que se passe-t-il dans la tête de l’agresseur? C’est qu’attendre un enfant « remue » autant le futur père que la future mère – on s’interroge sur son histoire familiale, se remémore les parents que l’on a eus, se demande quel parent on va soimême devenir, etc. « La grossesse de sa compagne réactive également chez l’homme ce qu’il a vécu dans son enfance », explique Mathilde Delespine, sage-femme, qui a mis en place, à l’hôpital de Montreuil, une permanence pour libérer la parole des femmes victimes de violences conjugales. Il peut avoir été lui-même témoin de ce genre de violences, avoir été battu ou bien ne pas avoir eu de père, ce qui le fragilise quand, à son tour, il entre en paternité. Si cet homme n’est pas amené à verbaliser ses souffrances, le passage à l’acte est facilité. Par ailleurs, quand une femme attend un enfant, elle est plus «exposée» aux yeux de tous et suscite l’intérêt de son entourage et du personnel médical. Un homme infantile, fragile psychologiquement ou déjà violent, peut ne pas le supporter. Garder sa compagne enceinte sous sa coupe lui est plus difficile, il va s’y employer à sa manière.
ÊTRE ENCEINTE ET SUBIR DES VIOLENCES, C’EST COMME L’ÊTRE DANS UN PAYS EN GUERRE
Lorsqu’un homme lève la main pour la première fois sur sa compagne enceinte, « cette violence était probablement larvée au sein du couple, avance Mathilde Delespine. La femme était déjà sous l’emprise de son compagnon mais ne l’avait peut-être pas identifiée comme telle ». Séverine Dagand, psychologue clinicienne spécialisée en périnatalité, ajoute que l’arrivée d’un bébé fragilise certes les deux futurs parents individuellement mais également le couple. La grossesse vient rompre le lien exclusif de l’homme
La grossesse rompt le lien exclusif de l’homme avec la femme. Le bébé fait alors effraction dans le couple…
avec la femme. Le bébé fait alors effraction dans le couple et le père peut se sentir menacé, ressentir l’enfant comme un agresseur potentiel qui viendrait lui dérober sa femme. Les violences conjugales, on s’en doute, ne sont pas sans conséquences sur la santé de la mère et du foetus. « C’est comme être enceinte dans un pays en guerre», résume Mathilde Delespine. Etre stressée et sur le quivive n’a jamais fait de bien à quiconque, a fortiori quand on porte un enfant en soi. Les abus physiques (et/ou sexuels) s’associent souvent à un isolement social, au tabagisme, à un usage d’alcool ou de drogues et à une malnutrition qui retentissent sur l’évolution de la grossesse et l’état du foetus. Sont fréquents, un diabète gestationnel (en raison d’une malnutrition parfois due au rationnement d’argent par l’homme), un petit poids du bébé, une hypertension artérielle due au stress, etc. En outre, le ventre de la future maman, symbole de la grossesse, est le plus souvent attaqué. Peuvent s’ensuivre des hémorragies, un décollement placentaire, une rupture prématurée des membranes, un accouchement prématuré voire une mort in utero.
LA GROSSESSE, UN MOMENT IDÉAL POUR REPÉRER LES VIOLENCES
Si la grossesse exacerbe les violences conjugales, elle est également un moment clé pour les repérer. En effet, « il est rare dans une vie qu’on voie autant de professionnels de santé aussi souvent et régulièrement », assure la sage-femme. Dix-huit fois en neuf mois! Par ailleurs, c’est particulièrement lorsqu’on est enceinte et que la «transparence psychique» est à l’oeuvre (l’inconscient à fleur de peau permet une mobilisation rapide des émotions) qu’on est parfois à même d’opérer un changement dans sa vie, le bébé étant le déclencheur. « Surtout quand on explique à ces femmes les conséquences pour un enfant de vivre avec un père violent », poursuit Mathilde Delespine. Hélas, cette opportunité de repérage est encore largement sous-exploitée dans les maternités. « Les professionnels savent poser des questions sur des antécédents de diabète mais pas vraiment sur des antécédents de violence », souligne notre sage-femme, qui se bat pour un repérage systématique des violences en maternité. Les victimes se confiant peu, il faut donc leur poser la question et tenter d’initier un dialogue. A quand la généralisation d’une permanence dédiée aux violences conjugales dans toutes les maternités ? ✪