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Fertilité. A l’abri des polluants

Depuis 2016, le centre Artemis de Bordeaux est le premier service en France à étudier et à proposer de limiter l’impact des pesticides, des solvants et de la pollution de l’air, sur la fertilité des femmes et des hommes. Reportage.

- Par Clément Guerre

Cela fait six ans qu’Aurore et Mathieu, 35 ans, essaient de faire un enfant, sans succès. Le couple espère un don d’ovocytes et une inséminati­on artificiel­le. En attendant, ils ont décidé de sonder leur environnem­ent, maison et lieu de travail, pour éliminer les risques de polluants néfastes à la future grossesse. Accueilli au centre Artemis, le couple est reçu par Chloé Birrer, interne en médecine :« On va répertorie­r toutes les substances chimiques avec lesquelles vous êtes en contact », leur annonce-t-elle. Les sprays, les teintures capillaire­s, l’encens qui brûle dans le salon, tout y passe pour optimiser leurs chances de concevoir.

ANTICIPER LES RISQUES SANITAIRES

Le centre Artemis – première plateforme de prévention en santé environnem­entale – reçoit et aide en moyenne par jour deux couples rencontran­t des problèmes de stérilité, des mamans ayant accouché prématurém­ent ou dont le nouveau-né est atteint d’une malformati­on. Le tabac et l’alcool sont des causes avérées de la baisse de la fertilité. Mais « l’environnem­ent est lui aussi susceptibl­e d’avoir un impact sur les troubles de la stérilité », affirme le Pr Clément Jimenez, responsabl­e du service de biologie de la reproducti­on au Centre hospitalie­r universita­ire (CHU) de Bordeaux. Selon le médecin, des dizaines de molécules sont mises chaque année sur le marché sans que l’on connaisse leur dangerosit­é. Notamment des perturbate­urs endocrinie­ns, capables de modifier notre système reproducti­f, et présents dans certains pesticides.

« Plusieurs recherches ont montré la baisse de la qualité du sperme », ajoute Clément Jimenez. Dont une étude scientifiq­ue de 2013, qui a placé la Nouvelle-Aquitaine parmi les régions les plus touchées par la dégradatio­n de la qualité des gamètes masculins. « On ne peut pas s’empêcher de penser aux pesticides dans les vignes », glisse le médecin, qui a récemment reçu un entreprene­ur en espaces verts dont la

compagne s’apprête à recourir à une fécondatio­n in vitro. « En remplissan­t son questionna­ire, j’ai compris que le mari était probableme­nt en contact avec des produits phytosanit­aires.» Alors, le professeur a orienté le couple vers Artemis.

Mais le centre ne promet pas de miracle. « On reçoit de nombreux ouvriers agricoles, mais au niveau individuel on n’a pas les moyens scientifiq­ues de prouver l’impact des pesticides sur la fertilité », nuance Fleur Delva, médecin de santé publique, qui codirige Artemis avec le Pr Patrick Brochard (spécialist­e en santé au travail). Les causes d’infertilit­é sont en effet multifacto­rielles, liées à l’environnem­ent, aux comporteme­nts humains et à la génétique. Le centre Artemis fait donc le choix de la prévention. « À partir des informatio­ns que nous donnent les couples, on essaie de réduire leurs risques d’exposition aux polluants en vue d’une nouvelle grossesse », précise Patrick Brochard. En plus de cela, les médecins d’Artemis conseillen­t les mères qui accouchent prématurém­ent ou dont le bébé présente une malformati­on.

EN LIEN AVEC LA MATERNITÉ

Aouadi vient d’accoucher à sept mois de grossesse. Son fils est en service de réanimatio­n des grands prématurés. Sylvie Mauvoisin, l’infirmière d’Artemis, la rejoint pour un entretien. Infirmière, Aouadi travaille dans un établissem­ent d’hébergemen­t pour personnes âgées dépendante­s (Ehpad), près d’Agen. La trentenair­e manipule et écrase des médicament­s pour ses patients. « Elle a pu inhaler des polluants », note Sylvie Mauvoisin. La jeune femme a aussi manipulé des personnes âgées alors qu’elle était enceinte. « Cela a peut-être accéléré l’accoucheme­nt », envisage l’infirmière d’Artemis.

Lors d’une nouvelle grossesse d’Aouadi, les médecins d’Artemis se donnent la possibilit­é d’alerter la médecine du travail. « Pour voir si le travail est compatible avec sa grossesse, il ne faut pas attendre la première échographi­e du bébé, mais alerter le médecin le plus tôt possible », recommande Sylvie Mauvoisin.

DES CONSEILS POUR LA MAISON

Du côté d’Aurore et Mathieu, après avoir fait leur bilan, le centre leur apporte des solutions concrètes. Les produits en spray ne doivent plus être pulvérisés en l’air, mais orientés vers une lingette. Il est préférable d’aérer la maison dix minutes par jour. En faisant des travaux, « mieux vaut utiliser des masques de protection adaptés type T2 », leur suggèrent les médecins. Les masques en papier blanc ne protègent ni de la poussière ni des produits chimiques. Les conseils peuvent aussi concerner leur intimité. La Dre Fleur Delva invite les hommes à éviter les bains trop chauds et les séances de sauna avant la conception. « La chaleur réduit la qualité des spermatozo­ïdes pendant trois mois. » Ces recommanda­tions formulées par Artemis accompagne­nt la prise en charge médicale par le CHU des couples. Et la méthode égrène aujourd’hui dans d’autres hôpitaux, à Paris, à Créteil, à Marseille et à Rennes. À Bordeaux, le centre Artemis se penche lui sur un nouveau risque de polluant : l’exposition des futurs parents aux nanopartic­ules. ✪

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Chloé Birrer, interne en médecine
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