Laissez-les s’émerveiller
Pas de temps morts pour nos petits ! Surstimulés, sursollicités, ils n’ont plus le temps d’observer ce qui les entoure ni de s’en étonner… Comment laisser s’épanouir en eux ce sens du merveilleux qui leur est naturel et qui est le moteur de tous les appre
Avec Catherine L’Ecuyer, docteur en sciences de l’éducation et chercheuse*
C’est le matin de Noël. Parents d’un petit Oscar âgé de 4 ans, Sébastien et Amandine ont bien fait les choses. Une montagne de paquets enrubannés attend le petit garçon au pied du sapin ! Emerveillé, Oscar ? Oui… mais pas par ce qu’on croit. Il n’a d’yeux que pour l’assiette vide sur la cheminée ! Ainsi donc le Père Noël est venu et il a mangé la part de gâteau déposée à son intention ? Oscar est ébloui par sa découverte. C’est ça, l’émerveillement: tout voir comme un cadeau. Jouer avec les ficelles plutôt qu’avec les jouets. S’amuser avec son ombre. Tenir un papier devant les pinces d’un perce-oreille pour voir ce qui se passe. Toutes choses que nos petits n’ont plus – ou peu – le loisir de faire. «Les enfants d’aujourd’hui grandissent dans un environnement de plus en plus stimulant, excitant, frénétique, constate Catherine
L’Ecuyer, docteur en sciences de l’éducation et chercheuse. Nous cherchons sans cesse à leur rendre la vie magique, excitante, spectaculaire. Cela part d’un bon sentiment bien sûr, mais en les submergeant de propositions, nous ne les laissons plus suffisamment s’intéresser à ce qui les entoure. »
UN SENS INNÉ DE L’ÉTONNEMENT
Leur laisser le temps d’observer, nous, on est d’accord. Mais tous les petits sont-ils capables de s’arrêter ainsi sur les petites choses du quotidien ? De s’amuser d’un rayon de soleil qui danse sur la table? De s’émerveiller du vol d’une mouche contre la vitre ? Pour la chercheuse, cela ne fait aucun doute. « Les enfants ont un sens inné de l’étonnement, assure-telle. Ils voient l’extraordinaire dans l’ordinaire. Lorsque le lapin sort du chapeau, ce n’est pas le truc de magie qui surprend l’enfant, c’est tout simplement que le lapin existe. Pour l’enfant, tout est miracle.» Et c’est précisément cette capacité de s’étonner qui déclenche son intérêt et lui donne l’envie d’apprendre. L’émerveillement, moteur de tous les apprentissages ? « Oui, soutient Catherine L’Ecuyer. En grandissant, les enfants capables d’émerveillement ont naturellement le goût de l’étude parce que l’apprentissage est mû par la soif de savoir et non par des motivations extérieures. C’est cette soif de comprendre qui les poussera à étudier et non le désir d’avoir de bons résultats scolaires. »
LAISSER NAÎTRE EN EUX LE DÉSIR D’APPRENDRE
Le goût d’apprendre découlerait donc directement de la capacité à s’arrêter sur les choses et à observer ? Une allégation qui vient un peu bousculer nos représentations et nous oblige à nous remettre en question. Aurions-nous donc tout faux lorsque nous cherchons à évacuer l’ennui de la vie de nos enfants ? Lorsque nous les abreuvons de consoles de jeux, de tablettes et autres ordinateurs, censés nourrir leur curiosité? «En leur apportant tout tout cuit dans le bec, nous court-circuitons leur processus naturel de découverte du monde, n’hésite pas à affirmer Catherine L’Ecuyer.
Les enfants deviennent hyperactifs et nerveux, avides de distractions et de sensations toujours plus intenses et inédites. » Mais alors comment faire pour préserver la capacité naturelle de nos petits à s’émerveiller ? En un mot, comment laisser naître en eux le désir d’apprendre ? Rien de bien compliqué. «A l’âge préscolaire, il suffit de leur donner un environnement qui respecte les lois naturelles de l’enfance : ses rythmes et ses cadences, sa soif de rituels, de mystère, de beauté », déclare la spécialiste. Euh oui, mais… concrètement ? Voici des pistes. Préférez l’austérité à l’abondance
Le plus sûr moyen d’étouffer l’émerveillement chez l’enfant, c’est de lui donner tout ce qu’il veut avant même qu’il en ait envie. Il va penser que tout lui est dû et que le monde doit se comporter à sa guise. C’est le contraire même de l’émerveillement, qui ne tient rien pour acquis.
Ne lui donnez pas de réponses toutes faites, laissez-le chercher et trouver les siennes Les neurosciences nous montrent que les enfants sont naturellement enclins à acquérir des connaissances et à leur donner un sens personnel, notamment en assimilant la nouveauté à ce qu’ils savent déjà. En leur donnant des réponses prémâchées, nous annulons cette capacité. Mieux vaut accompagner votre petit curieux dans ses questionnements. « Tu veux savoir pourquoi les fourmis construisent des terriers? Et comment elles arrivent à porter des poids dix fois plus gros qu’elles ? Tu en penses quoi, toi, tu as une idée ? Regarde, on a ici un livre sur la vie des insectes, peut-être qu’on peut trouver la réponse dedans ? »
Laissez-le découvrir le monde par des activités spontanées Pas besoin de distraire votre enfant en permanence, au contraire. Laissez-lui des plages de temps pour s’amuser tout seul, si possible dans un environnement calme. Il va tendre des draps sur les meubles et se fabriquer une cabane. Ou dessiner un circuit pour les escargots dans le jardin. Ou encore entreprendre de découper des images dans les journaux. Parce qu’il les a choisies lui-même et qu’il les fait avec tout son coeur, ces tâches lui apporteront beaucoup de plaisir et de satisfaction. Limitez les films, les jeux vidéo, l’ordinateur, les smartphones et les tablettes
Bien que conçus à des fins prétendument éducatives, tous ces outils technologiques rendent les enfants plus passifs parce qu’ils font d’eux des prisonniers de l’immédiat. En outre, ils exigent peu d’effort mental et rendent l’esprit paresseux à force de ne plus penser. Sans ses jeux à écran, l’enfant ne sait plus s’occuper. Il s’ennuie. Donnez-lui des jouets sans piles ni boutons
Avec les jouets bourrés de technologie, pas de place pour la créativité ni l’expérimentation ! L’enfant apprend à appuyer sur des boutons plutôt qu’à imaginer de nouvelles façons de résoudre des problèmes. Pas question de tous les éliminer du coffre à jouets de votre enfant, bien sûr, mais essayez de faire la part belle aux jouets traditionnels (jeux de construction, pâte à modeler, crayons, papier) qui se plient à toutes sortes d’usages et lui laissent la liberté d’inventer. Faites lui faire le test de l’ennui Vous voulez savoir où votre enfant en est ? Profitez d’une semaine de vacances ou d’un week-end pour le laisser jouer librement quelques heures sans jouets, sans cartes de collection, sans écran, sans bicyclette dans un espace naturel ouvert et observez la façon dont il s’occupe. S’amuse-t-il tranquillement tout seul en inventant des jeux ? Ou ressent-il de l’ennui, de l’anxiété et devient-il hyperactif ? Il n’est pas normal qu’un enfant entre 3 et 6 ans s’ennuie. A cet âge, sa créativité est infinie. S’il ennuie un jour de vacances, tout indique que le reste de l’année, on l’a conditionné à un rythme frénétique et à une stimulation ininterrompue. ✪
Avec les jouets bourrés de technologie, pas de place pour la créativité ni l’expérimentation!
* Auteure de Cultiver l’émerveillement et la curiosité naturelle de nos enfants, éditions Eyrolles.