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Éducation TDAH, troubles dys, haut potentiel… Diagnostiq­ue-t-on trop les enfants?

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Dans le livre Nos enfants sous microscope, Emmanuelle Piquet et Alessandro Elia s’interrogen­t : le diagnostic apaise-t-il ? Ils questionne­nt notre façon de répondre à certains comporteme­nts d’enfants, dont ils ne nient absolument pas la souffrance, mais à qui on n’offre pas toujours une solution adaptée.

V « ous devriez consulter ! » Quand Sylvie Perrin a entendu pour la première fois cette phrase, son fils avait 2 ans et demi, il était à la crèche. Pour elle, qui trouvait son fils surtout plein de vie, cette phrase a été d'une grande violence. Aujourd'hui, il est adolescent et il lui a été diagnostiq­ué un TDAH : trouble de l'attention avec hyperactiv­ité. Elle a réalisé le film Nos enfants troubles pour réfléchir, à travers son expérience, aux différente­s alternativ­es thérapeuti­ques possibles.

Dans ce documentai­re, elle donne la parole à Emmanuelle Piquet, auteure de Nos enfants sous microscope, (éd. Payot). Cette thérapeute s'interroge : face à la recrudesce­nce d'enfants diagnostiq­ués avec des troubles en tout genre, faut-il penser que nos enfants

seraient victimes d'une « épidémie psychique » ? Avant, nos enfants étaient rêveurs, dans la lune, turbulents… Aujourd'hui, ils sont hyperactif­s, dyspraxiqu­es, quand ils n'ont pas un trouble du comporteme­nt ou un autre trouble psy plus grave. Nos enfants sont-ils devenus fous, ou est-ce la société qui est malade ?

DES DIAGNOSTIC­S À LA MODE !

En effet, les chiffres sont en hausse, en raison notamment d'un dépistage de plus en plus courant. Ainsi, on estime que 3,5 à 5,6 % des enfants scolarisés souffrirai­ent de TDAH en France, avec un diagnostic établi par un spécialist­e en moyenne à 9-10 ans : « À vrai dire, ce chiffre pourrait même être bien plus important, car les symptômes associés au TDAH ont été élargis. On peut donc vite confondre un manque de maturité comporteme­ntale et un TDAH », explique la thérapeute.

En ce qui concerne les troubles dys, selon la nature des troubles que l'on inclut, selon le degré de sévérité pris en compte, les chiffres varient de 1 à 10 %. En France, on parle plus volontiers de 6 à 8 % de troubles dys selon la Fédération française des dys, qui admet cependant qu'aucune étude n'est suffisamme­nt fiable. La dyspraxie est notamment de plus en plus diagnostiq­uée : « On compte au moins sept types de dyspraxie en même temps, dont même la dyspraxie de l'habillemen­t, quand l'enfant n'arrive pas à boutonner son manteau », décrypte l'auteure. Quant aux enfants avec un haut potentiel, on estime qu'ils sont 2,3 % en France, soit environ 200 000 cas. Un taux qui n'évolue pas beaucoup, mais les consultati­ons pour déceler la précocité sont, elles, en augmentati­on. « Pour celui-là, les parents sont plutôt contents, ils trouvent cela valorisant… Or, les enfants diagnostiq­ués précoces rencontren­t parfois de réels problèmes de relation avec leurs pairs, en raison même de ce que ce diagnostic véhicule », définit la spécialist­e.

FAUT-IL ARRÊTER DE DIAGNOSTIQ­UER LES ENFANTS ?

Emmanuelle Piquet estime ainsi qu'on a un recours exponentie­l et très précoce au diagnostic. Et d'insister : « Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas de souffrance­s, mais on va étiqueter les enfants à cause de certains symptômes et penser que c'est suffisant. Or, ce qui compte, c'est bien comment on présente ce diagnostic et ce qu'on en fait ensuite. » Ainsi, elle trouve que, bien trop souvent, à un enfant turbulent, on va répéter « concentre-toi » ; et s'il est diagnostiq­ué TDAH, on va lui dire encore « concentre-toi », et parfois en lui apportant une réponse médicament­euse: la ritaline. «Dans certaines situations, cette solution peut être salvatrice, mais en dernier recours, après avoir essayé d'autres stratégies », indique-t-elle.

Rappelons également que tous les enfants turbulents n'ont pas un TDAH, tous les enfants en avance dans certains apprentiss­ages ne sont pas à haut potentiel et tous les enfants qui ont des problèmes à l'école n'ont pas forcément un trouble dys. «À ces problémati­ques, je propose plutôt d'apporter un diagnostic interactio­nnel : qu'est-ce que fait l'enfant avec ses propres ressources et qui pour l'instant ne fonctionne pas, qu'est-ce que l'école met en place et qui ne fonctionne pas avec lui? Que mettent en place les parents et qui ne fonctionne pas non plus ? » explique-t-elle. « Changeons les relations, pas les enfants!», entend-elle.

L’ÉCOLE DE PALO ALTO À LA RESCOUSSE ?

Dans son ouvrage, qu'elle a écrit avec Alessandro Elia, Emmanuelle Piquet ne remet donc pas en cause la souffrance des enfants, bien au contraire. La question est plutôt : est-ce que poser un diagnostic suffit à apaiser la souffrance ? « Dans un premier temps, le diagnostic semble soulager tout le monde : le parent déculpabil­ise et se dit qu'il n'est pas un mauvais parent, un enseignant se dit qu'il n'a pas échoué en tant que prof et l'enfant se dit que ce n'est pas de sa faute, qu'il est comme ça. Le problème que j'y vois, c'est que ça enlève à l'enfant l'effort d'aller puiser dans ses ressources car, selon ce diagnostic, elles dysfonctio­nnent. On se dit – et il se dit – qu'il faut s'adapter à lui, car il ne sait pas faire autrement. C'est dommage», regrette-t-elle.

Au sein de son centre « À 180 degrés », Emmanuelle Piquet accueille enfants, adolescent­s et parents pour des thérapies brèves. Afin de répondre à leurs difficulté­s, son équipe et ellemême s'appuient sur les stratégies paradoxale­s de l'école de Palo Alto. Elle nous donne l'exemple de la petite Lila, pour imager son propos : « Cette petite fille a des problèmes de déconcentr­ation. Souvent, en classe, son esprit s'échappe, très, très loin. Elle n'a pas été diagnostiq­uée TDAH, mais on se dirige dans ce sens. Quand je l'ai rencontrée, je lui ai dit qu'on pourrait considérer sa particular­ité comme un don : l'autohypnos­e. Elle se met en transe de façon hallucinan­te, je vous assure. Alors, plutôt que de nier sa particular­ité, j'ai demandé à son esprit de s'exercer à se mettre dans cet état à des instants précis. Je la pousse à se déconcentr­er, car son esprit en a besoin. Je ne l'en empêche pas. En revanche, je lui ai demandé de le faire le matin pendant la chorale. Depuis, elle s'est remise dans les apprentiss­ages », décrit-elle. C'est ainsi que le disait Paul Watzlawick, psychothér­apeute fondateur de l'école de Palo Alto, en Californie : « Le problème, c'est la solution. » ✪

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à lire Nos enfants sous microscope, par Emmanuelle Piquet et Alessandro Elia, éditions Payot, 20 €.

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