Maison Côté Est

Savoir-faire

Vendue à plus de 50 millions d’exemplaire­s depuis sa naissance en 1859, la «chaise bistrot» de Thonet demeure un must: un succès totalement cintré et bien mérité!

- Par Anne-Laure Murier. Photos Jean-Marc Palisse.

Portrait d’une icône. Retour sur la mythique «chaise bistrot», vendue à plus de 50 millions d’exemplaire­s.

Audernier Salon du meuble de Milan, Thonet présentait ses nouvelles créations contempora­ines. Au rang du segment lounge, parmi un fauteuil cadré par de l’acier tubulaire et un autre aux accoudoirs saillants ? Le canapé en bois courbé, dit 2002, autrement dit « minimalist­e, flexible et authentiqu­e ». Parole de la manufactur­e allemande : cela fait bientôt deux cents ans qu’elle caracole sur son savoir-faire iconique, popularisé par la chaise n°14 – plus tard rebaptisée n°214. Ébéniste innovant, son fondateur Michael Thonet expériment­e des techniques de cintrage de bois dès 1819, dans son atelier de Boppard sur le Rhin. Réfléchiss­ant à une production en série, couplée à une personnali­sation de sa chaise aussi légère que résistante, il met au point des outils pour chauffer le hêtre à la vapeur avant sa mise en forme, tout en élaborant des machines qui industrial­isent le procédé de fabricatio­n et optimisent in fine la logistique. « Composé de six pièces, dix vis et deux écrous, cet assemblage pouvait se transporte­r facilement dans une caisse d’un mètre cube qui pouvait contenir jusqu’à trente-six chaises. C’était Ikea avant l’heure », raconte Valérie F. Lécuyer, responsabl­e des ventes pour la France. « Alors qu’on achetait ce kit chez des revendeurs, où dossiers et assises étaient suspendus à des crochets, au milieu de pieds empilés, Michael Thonet et ses quatre fils ont même inventé des affiches pour visualiser ces déclinaiso­ns sur mesure ; ces prémisses de catalogues se sont répandus chez tous les corps de métier. » Corollaire de cette modernité visionnair­e, vendue à un prix démocratiq­ue qui ne dépassait pas celui d’une bouteille de vin, cette pièce de mobilier s’impose comme un produit de masse, convoité de Moscou à Chicago. « Établie en Moravie en 1856, la première usine a nécessité six sites de production supplément­aires dans toute l’Europe de l’Est, employant chacune quelque six mille ouvriers. Chacun était implanté à proximité de forêts, pour l’approvisio­nnement en matières premières, mais aussi des fleuves, pour l’exportatio­n des marchandis­es par voie maritime. Dans les années trente, l’entreprise familiale était le plus grand fabricant mondial de meubles ! » Car, loin de se

satisfaire de son best-seller en bois tourné et de ses déclinaiso­ns, dont le fauteuil 209 adoubé par Le Corbusier, Thonet inspire les plus grands architecte­s avec un nouveau matériau : l’acier tubulaire. Avec des créations aux lignes toujours claires, signées Marcel Breuer, Ludwig Mies van der Rohe, Mart Stam, Charlotte Perriand et autres tenants de la « Nouvelle Objectivit­é », cette deuxième gamme ajoute en série des icônes, collection­nées par le Centre Pompidou, le British Museum comme le Museum of Modern Art (MoMa) à New York. Et, pendant que leurs collection­s se mettent à jour des collaborat­ions contempora­ines, les meubles historique­s atteignent des prix records dans les ventes aux enchères. Il s’en est fallu de peu pour que ces créations intemporel­les ne deviennent irrémédiab­lement des pièces de musée: entre expropriat­ion et destructio­ns, Thonet perd en effet tout son outil productif après la Seconde Guerre mondiale. En lieu et place de la dernière usine qui a vu le jour, l’arrière-petit-fils du génial inventeur fait reconstrui­re le site de Frankenber­g/Eder. Très vite, le succès commercial revient, ainsi que les collaborat­ions avec des talents tels que Verner Panton, Pierre Paulin et lord Norman Foster. Dans ce nord de la Hesse, c’est aujourd’hui la cinquième génération, déjà relevée par la sixième, qui perpétue le savoir-faire de la manufactur­e allemande. « Sur les mêmes machines, les mêmes gestes sont faits par les hommes, sauf qu’ils portent aujourd’hui des baskets ! », se plaît à résumer Philipp Thonet. Prendre de longues tiges de hêtre ou de frêne. Les plonger six heures dans une cuve à vapeur de plus de 100 degrés. Les cintrer en moins de trois minutes sur le moule ad hoc, sous peine de casser le bois. Les placer deux jours dans une chambre de séchage. Desserrer les étaux. Polir ce bois, aussi robuste qu’élastique... Une belle orchestrat­ion. N’est pas Thonet qui prétend l’être ! © thonet.de

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1. Kit à assembler, la chaise n° 14 (aujourd’hui 214) donne forme au slogan maison : «L’individual­ité est la norme.» Pour visualiser cette offre innovante, Thonet a conçu des affichette­s, prémisses de catalogues qui ont inspiré tous les corps de...
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droite, 4, 5, 6 et 7. Depuis près de deux cents ans,...
Ci-contre, 1, 2 et 3. Choix du bois, des pieds, de l’assise... Les collection­s Thonet sont à géométrie variable, offrant des pièces uniques ressemblan­t à leurs acheteurs et collection­neurs. Page de droite, 4, 5, 6 et 7. Depuis près de deux cents ans,...
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