SATELLITE ISLAND
« Je tenterais vainement de rendre la sensation que me fit éprouver l’aspect de ce havre solitaire, placé aux extrémités du monde, et fermé si parfaitement que l’on peut s’y considérer comme séparé du reste de l’univers » , écrivit d’Entrecasteaux quand il découvrit Satellite Island au XVIIIe siècle. Une sensation que l’on peut faire sienne aujourd’hui encore. Le terme « isolé » , qui vient d’insulaire, prend tout son sens sur cette île à louer – avec la seule maison qui s’y trouve, Summer House. Satellite est un caillou de 30 hectares en forme de baleine, qui abrite une nature brute, à quinze minutes de bateau de Bruny et à vingt minutes en hélicoptère d’Hobart. D’Entrecasteaux était là pour observer les étoiles, abrité des lumières de la ville ; Ian Alstergreen, le bâtisseur de Summer House, venait dans les années 1980 peindre et dessiner. Les héritiers de Ian, son neveu Will et sa femme Kate, ont rénové la maison. Avec son Barbour et ses gants de bricolage, Kate reste l’une des femmes les plus sympathiques et élégantes que nous ayons rencontrée. Le couple a donné un aspect chaleureux à cette ancienne ferme d’élevage de saumons, enclave moderne à l’esthétique norvégienne, inspirée par l’héritage culturel de Will. Le mobilier, tout en nuances bleues et bois délavé, mixe trouvailles du XIXe siècle, tapis en toile de jute brute, peaux de rennes finlandais, mobile en bois flotté, coquilles d’huîtres, casiers à homard, cornes de cerf au mur et verres de cristal qui dorment encore dans l’ancienne commode de pin. Avant notre arrivée, Kate nous conseille de ne venir qu’en petit comité ; pas plus d’une dizaine de personnes. Richard, le butler volant, sera là pour nous assister le cas échéant, nous assure Kate. Notre première vision est celle de falaises effilées plongeant dans l’onde pure. La faune et la flore sont les seuls résidents. Sur notre chemin, nous faisons la connaissance d’une espèce rare d’aigle à cou blanc, puis de rennes, de biches et de poules. Nous nous lions d’amitié avec Franklin, le coq de basse-cour, et Bert et Henry, deux cerfs mordus de pommes, qui suivent Kate comme des animaux domestiques. Dans le réfrigérateur : des huîtres fraîches, un crabe de la taille d’une paume et des oeufs frais griffés « Satellite eggs ». Une invitation à la fête. Satellite est une retraite enchantée, un lieu où l’on se retrouve avec soi-même pour réapprendre la notion du temps et le goût des choses simples. Ici, on vit salé et pieds nus. On fait de longues marches tout autour de l’île au-dessous des falaises, à marée basse. On reste au coin du feu, on sort un homard de la nacelle en rotin au pied de notre chambre, on cuisine les saumons fraîchement pêchés sur la plage de galets, on plonge en quête d’oursins, d’ormeaux et de moules. On s’arrête pour voir le coucher du soleil sur l’océan au point Last Glimpse, puis on ouvre les yeux pour le contempler se lever sur la si proche, et si lointaine, Bruny Island. On se « pause ». Sur orbite.