MARIA ISLAND
À la tombée du jour, on y surprend des
kangourous. La nuit, on y croise le « diable » (petit marsupial aux oreilles rouges). Dès l’aurore, des cacatoès jacassent. Maria a mille visages. Nous débarquons au nord de l’île de Triabunna, point de départ des ferries, seul accès à ce parc national insulaire. Pour la première fois depuis le début de ce voyage, l’immensité sauvage nous stimule plus qu’elle ne nous calme. L’eldorado Maria se découvre lentement. Aucune voiture ne passe, car il n’existe aucune route. Pour nous, le périple se fera « à corps et jambes perdus ». Nous découvrons cette île à rebours, en commençant par sonder son histoire. Elle est connue pour être la deuxième colonie pénitentiaire de Tasmanie. Il est notamment possible de visiter la prison bâtie en 1825, à Darlington, dont les anciennes cellules ont été converties en dortoirs. Vers Lesueur Point, d’autres vestiges rappellent également le passé pénitentiaire de Maria Island. Son histoire s’écrit bien avant les découvertes européennes du XVIIe siècle. On connaissait l’île 30 000 ans auparavant, alors qu’elle s’appelait Toarra-Marra-Monah et que les membres de la tribu des Tyreddeme venaient y pêcher et chasser le phoque ou la baleine, en nageant le long des plages, leur arme coincée entre les orteils. Maria ne pouvait pas rester une terre de prisonniers. Elle renaît au XXe siècle lorsqu’un Italien, Diego Bernacchi, choisit de la transformer l’île en lieu de villégiature. Un hôtel avec billard, un dancing, un cinéma, un bar sont installés pour en faire la parfaite retraite touristique. Ce sont les guerres mondiales qui auront raison des fantaisies utopiques des Bernacchi. Maria s’assagit pour se peupler de familles de fermiers. En 1972, l’île devient parc national. Maria est captivante et, à table, elle est au centre de toutes les conversations. Chacun fait part de ses expériences et de ses rencontres inoubliables avec le Diable, les wombats aperçus derrière les Painted Cliffs. L’habituelle entrée en matière « Tu fais quoi ? » est superflue. Tout ce qui compte ici, ce sont les kilomètres parcourus. On ne parle que de la clémence de la météo et, parfois, on va jusqu’à évoquer le menu du lendemain. Notre vécu sur l’île devient le seul élément intéressant à partager. Notre guide, Sue, nous emmène plus loin en nous racontant ses 6 500 kilomètres à vélo, de Glasgow à Athènes, en passant par les châteaux de la Loire. Nous évaluons les possibilités de découvrir la faune environnante ; les kangourous en fin de journée sur le Fossil Cliffs Circuit, les baleines et les phoques sur la côte face à la Tasmanie, le pardalote tacheté vers la forêt d’eucalyptus, l’oie du cap Barren vers la French Farm ou le Kookaburra, martin-chasseur au long bec qui rit fort, que l’on entend à la tombée de la nuit. Au coucher du soleil, à marée basse, nous nous dirigeons vers les falaises peintes de Hopground Beach. Leurs motifs géométriques, d’un camaïeu miel et rouge lié à l’oxyde de fer, changent continuellement, s’effondrent, se reforment et se parent de cristaux de sel dans un fragile équilibre. Maria Island se classe définitivement au palmarès des îles les plus vivantes, où la nature se fait artiste et mère de tous les possibles. Une île à passions.