HOBART
Notre dernier arrêt est la capitale, Hobart. Nous avons rendez-vous au Mona (Museum of Old and New Art), une planète à part entière. Celle de David Walsh, autodidacte millionnaire, propriétaire et fondateur du lieu. Le musée est le résultat de sa vision grandiose et peu orthodoxe de l’art, de la vie, de l’humain. Walsh est un personnage non conventionnel, à mi-chemin entre Willy Wonka et Andy Warhol. Au fil des interviews, il a créé son propre mythe. Il s’affirme tour à tour autiste, végétarien, athée : autant de qualificatifs difficiles à prouver, qui contribuent à l’auréoler de mystère. L’aventure du Mona débute en 2011. Son objectif premier est de subvertir la notion même de musée : Walsh refuse l’idée d’une curation autre que la sienne. Ici, c’est l’émotion et non le goût qui prime ; l’éducation se fait par la critique. Pour éviter le prêt-à-penser, pas de signalisation ni de cartels aux murs. Walsh qualifie son monument de « temple laïc et de Disneyland subversif pour adultes » . Après avoir avalé 99 marches, le visiteur débarque sur… un cours de tennis qui désacralise pour le moins les lieux. Avant de se retrouver devant un grand miroir déformant qui reflète la péninsule de Berriedale, entourée d’eucalyptus et de vignes. Ce n’est pas un musée que l’on y découvre, mais un bar. « L’art doit se regarder avec un coup dans le nez », revendique David. Le bâtiment est deux fois plus grand que le Guggenheim de New York et, pour se repérer, un seul guide est prévu, le O (un iPod Touch qui propose pour chaque oeuvre des commentaires présentant la vision de l’artiste et celle de Walsh). Le musée mélange toutes les époques, tous les styles, tous les pays, l’ancien, le grave, le comique, le rudimentaire. On y rencontre, sans filtre, la porte décorée d’un palais yoruba, le triptyque d’une Vierge à l’Enfant du XVe siècle, des pointes de flèches préhistoriques, des momies égyptiennes ou une oeuvre contemporaine. Le musée regorge d’oeuvres polémiques nous laissant, au choix, indécis, choqués, ou amusés : des pierres de la gare d’Hiroshima à l’installation sans titre de l’artiste d’origine grecque Jannis Kounellis, composée de carcasses d’animaux. Le Mona est aujourd’hui la principale attraction touristique de Tasmanie. « Il y a sept ans, tu pouvais perdre ton job en hiver tellement il n’y avait plus de boulot, aujourd’hui cette attraction a inscrit Hobart sur la planète culture », raconte notre guide Joshua. En créant ce musée de « slasheurs », inspiré sûrement du Web, où tout se frôle sans hiérarchie, sans sens réel en dehors de celui que l’on s’efforce d’y trouver, Walsh bouleverse notre vision et remet en perspective notre appréhension du différent et de l’incongru. Était-ce la bonne méthode ? Va-t-il trop loin ? Pourquoi pas ? Il réussit en tout cas à offrir l’inédit : un monde six pieds sous terre composé d’un cimetière, d’un musée et d’un bar, qui propose aussi un voyage avec un grand mixologiste aussi inédit que dépaysant et dont on ressort changé à jamais.