L’EXPÉRIENCE DU TEMPS
L’ALCHIMIE DU VIN DÉPASSE LE STADE DE LA VINIFICATION ET DE SON ÉLEVAGE EN FÛTS. UNE FOIS EN BOUTEILLE, LE SANG DE LA VIGNE CONTINUE D’ÉVOLUER, DE SE BONIFIER. SA COMPLEXITÉ AROMATIQUE EXPLOSE, SA PERSISTANCE EN BOUCHE AUSSI. MAIS RIEN N’OBLIGE À L’ATTEND
Faire la part entre les flacons bons à boire et ceux qu’il faut attendre suppose de (re)connaître les vins de garde. Faute de les déguster (si l’on en possède peu), il convient d’en apprécier les origines pour jauger leur développement au-delà du millésime. Car le vin, produit vivant, se transforme avec le temps, se bonifie plus ou moins rapidement. On distingue trois étapes dans la vie d’un vin de garde. La jeunesse se caractérise par une forte présence en tanin, de l’acidité, une structure puissante et, généralement, des notes florales et fruitées ainsi qu’un côté boisé dû à l’élevage en fûts. Arrive ensuite la maturité : le vin devient plus suave, plus souple, les tanins se fondent, des notes de fruits confits apparaissent. Il atteint son apogée : sa complexité aromatique explose, l’acidité s’estompe. C’est le meilleur moment pour le déboucher, car il amorce ensuite son déclin. Les éléments constitutifs (tanin, acidité, alcool) d’un vin de garde sont influencés par plusieurs variables : le millésime, l’âge des vignes, la concentration, le cépage, les techniques de vinification… Certaines variétés de raisins se prêtent plus à l’exercice que d’autres. Les cabernets – franc et sauvignon – font des grands vins à Bordeaux et dans la Loire ; le riesling alsacien se révèle un excellent passeur de temps, comme le chardonnay et le pinot noir en Bourgogne. Dans le Sud, grenache et syrah, carignan et mourvèdre, roussanne et marsanne bâtissent des chefs-d’oeuvre oenologiques. Mais c’est la nature du sol, le terroir, qui prime. La notion de « cru » trouve ici tout son sens. En Bourgogne, les mentions « premier cru » et « grand cru » sur l’étiquette constituent de précieuses indications sur la capacité de garde des vins. En Champagne aussi, mais c’est surtout la décision du chef de caves de millésimer – ou non – une partie de la vendange qui augure d’un vieillissement au long cours. Dans la vallée du Rhône tous les crus en appellation (châteauneuf-du-pape, hermitage, côte-rôtie, condrieu…) sont synonymes de longévité. L’Alsace n’est pas en reste avec ses cinquante et un grands crus. Même le vignoble de Nantes, plutôt réputé pour ses blancs vifs à consommer jeunes, recèle des pépites à oublier en cave. À Bordeaux, enfin, les élus des classements du Médoc, des Graves et de Saint-Émilion sont autant de valeurs sûres pour les années à venir.