LA ROCHE ARTISTIQUE
Sixième génération de la dynastie, Francesca Nicoli poursuit la légende familiale. À Carrare, depuis 1835, talent et savoir-faire accompagnent le mythe de cet atelier de sculpture.
Sixième génération de la dynastie, Francesca Nicoli poursuit la légende au sein du Laboratori Artistici Nicoli. Depuis 1835, talent et savoir-faire accompagnent le mythe de cet atelier de sculpture, devenu l’acteur incontournable des liens entre Carrare et l’art contemporain.
Au volant de son 4 x 4 blanchi par la poussière de marbre, Francesca Nicoli part à l’assaut des Alpes italiennes de la région de Carrare. D’une carrière à l’autre, elle cherche, négocie la pièce rare. Seule femme au coeur d’un métier d’hommes, Francesca sait ce qu’elle veut et encore plus ce qui l’anime. Brillante, parlant cinq langues, auteure d’ouvrages sur l’art et la philosophie, collaboratrice au sein de magazines artistiques, elle est la digne héritière d’une lignée. En 1835, son arrière-arrière-grand-père Carlo Nicoli, artiste prodigieux, fonde les ateliers de sculpture de marbre Nicoli, ralliant à lui la fine fleur de l’intelligentsia et de l’art. Giovanni Duprè, Ettore Ximenes et d’autres figures de la sculpture se succèdent ici, produisant des oeuvres pour le Brésil, l’argentine, les Philippines, la Thaïlande ou l’afrique. Cette dimension internationale, reconnue pour l’excellence de son savoir-faire, campe les valeurs d’une maison toujours en marche. À la fin des années cinquante, son arrière-petit-fils, Carlo Nicoli, soucieux de résonances possibles entre marbre et abstraction, rassemble à son tour les plus grandes figures de l’art contemporain. « Les artistes, après la guerre, ont souhaité exploiter le fil expressif du marbre. L’art conceptuel disposait d’un terrain créatif considérable que mon père en visionnaire a très vite anticipé. Il fallait cesser de produire des madones de facture classique, comme l’avait déjà fait mon arrière-grand-père Gino à l’époque cubiste, et saisir l’instinct de liberté des artistes outsiders pour les amener à faire l’expérience du marbre contemporain », souligne sa fille Francesca. Un mouvement suivi dans les ateliers, sous l’immense nef de plus de quatorze mètres de haut. Agustin Cardenas, Ossip Zadkine, Fausto Melotti, Jean-robert Ipoustéguy mais aussi Antoine Poncet, l’élève de Jean Arp, partagent ici des grands moments de création. L’artiste Bruno Giorgi y réalise Météore qui viendra orner le bassin d’oscar Niemeyer à Brasilia, César y élève son Pouce de sept mètres destiné à Djedda en Arabie Saoudite, Louise Bourgeois y fait réaliser toutes ses oeuvres en marbre. Quant à Michelangelo Pistoletto, « il débarque ici avec des oeuvres monumentales salissant les marbres à coups d’aérographes ». Depuis 2003, Francesca poursuit l’aventure. Portée par l’esprit familial, elle s’ouvre au monde, respire l’air du temps et s’équipe de robots pour faire face aux exigences de l’époque. Au terme d’atelier, elle préfère désigner la maison comme un workshop, un laboratoire vivant, tourné vers la recherche, l’expérience. Son challenge : « appeler les artistes du monde à rallier le territoire d’un matériau ancestral mais tellement contemporain ! » Récemment elle invitait l’artiste américaine Vanessa Beecroft qui a réalisé ici une cinquantaine de marbres colorés. « La beauté du marbre de Carrare est un formidable déclencheur de création et la délicatesse du geste atteint un grand niveau de précision dans nos ateliers », souligne-t-elle. Avec intuition et conviction, Francesca écrit une nouvelle page de l’histoire, multipliant les ponts entre mémoire et avant-gardisme dans ce lieu, désigné en 2000 comme « site messager de la culture de la paix » par l’unesco.