ESCALE MODERNISTE
Conservé dans son état originel, l’hôtel Les Cabanettes perpétue, grâce à ses propriétaires, la vision solaire de son architecte, Armand Pellier. Une véritable « sculpture à habiter », à découvrir entre sagnes et marais…
«Sculpture à habiter», l’hôtel Les Cabanettes perpétue la vision de son architecte, Armand Pellier.
C’est une surprise comme la Camargue sait en ménager, lorsqu’on veut bien se laisser surprendre. Sur la départementale qui mène d’arles à Saint-gilles, il suffit, une fois dépassé le panneau indiquant le camping Crin Blanc, d’obliquer vers la droite, de se garer et de traverser, un peu comme un miroir magique, l’épaisse haie de cyprès protectrice. Vous voici, sans plus de cérémonie, propulsé dans l’âge d’or de l’architecture moderniste. Votre vaisseau? Une étrange soucoupe de pierre dorée, enroulée autour de sa piscine en amande. Un vrai bout de Palm Springs posé au milieu des marais, avec ses splendides perspectives horizontales et son auvent intrépide, coiffant une ribambelle de baies vitrées… Cet édifice unique en son genre, miraculeusement conservé dans son état d’origine, c’est l’hôtel Les Cabanettes, surgi en 1967 de l’amitié entre un couple d’hôteliers anticonformistes, Marc et Louise Berc, et un architecte visionnaire, Armand Pellier. Propriétaires d’un hôtel-restaurant renommé à Saint-gilles, Le Globe, les Berc rêvent d’un relais gastronomique aux portes de la Camargue. Ils confient le chantier à Armand Pellier, qui est déjà intervenu au Globe. L’homme, autodidacte et artiste, possède un style lumineux, reconnaissable entre tous par l’association du béton et de la pierre traitée comme une sculpture, par l’emploi de courbes audacieuses et par une recherche d’ordre organique visant à intégrer l’édifice dans son site… L’hôtel est construit entre 1965 et 1967 et agrandi de 1976 à 1978 par la fille des Berc, Suzette, et son mari Alexandre Boucard : une aile de quinze chambres et une villa réservée à la famille viennent compléter le projet initial. Lors de l’inauguration, le bâtiment fait sensation dans le microcosme camarguais: c’est l’esprit de Frank Lloyd Wright qui s’invite au milieu du delta. «Ce minimalisme, ces arrondis, ces lignes pures… On n’était pas habitué à ce style de construction», se souvient Suzette. Qu’importent les critiques… Armand Pellier fignole ce qui restera son seul hôtel, s’occupant du moindre détail de l’aménagement intérieur, dessinant les meubles, choisissant les tissus… Parfois au grand dam de Marc Berc, car, raconte Suzette, «Monsieur Pellier, l’argent, il ne connaissait pas: ça dépassait parfois le raisonnable. » Comptoir en ardoise et en pierre du Pont du Gard issue de sa propre exploitation (car l’architecte possède une carrière), claustras en pin d’oregon massif, chaises couvertes de peau de taureau… Armand Pellier ne lésine sur rien, transformant l’édifice en un rêve ultra-moderne de bois et de crépi blanc : une cabane de gardian qui aurait rêvé du désert californien. Très vite, Les Cabanettes, où s’est installé le chef du Globe, Joseph Higonnet, devient une étape gastronomique réputée. « Des plats traditionnels de la cuisine camarguaise, la rouille d’encornets, la daube à la gardiane, sont nés ici », rappelle Suzette avec fierté. Autour de la piscine protégée des regards, dans les couloirs incurvés comme ceux d’un vaisseau galactique, on croise Gaston Deferre, Iouri Gagarine, Jacques Martin, Nicole Croisille, les Claudettes… Le temps a passé, et si Suzette et Alexandre ont fermé le restaurant en 2005, ils continuent à entretenir le culte de l’architecte tutélaire. « Lorsqu’on doit procéder à une réparation, on se demande toujours comment Armand Pellier aurait fait. » Tant de constance et de ferveur devaient trouver leur récompense: en 2012, grâce également au patient travail d’anne-marie Llanta, architecte-conseiller au Conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement du Gard, l’hôtel Les Cabanettes a reçu le label «Patrimoine du XXE siècle», après onze autres bâtiments conçus par Armand Pellier.