LA BONNE ÉTOILE D’ALEXANDRE MAZZIA
DISTINGUÉ PAR GAULT & MILLAU ET MICHELIN, LE CHEF ALEXANDRE MAZZIA EST LE NOUVEAU HÉROS DE LA GASTRONOMIE MARSEILLAISE. DANS SON DISCRET REPAIRE DU 8E ARRONDISSEMENT DE MARSEILLE, IL PROPOSE UNE EXPÉRIENCE HORS NORME DANS LAQUELLE IL FAUT SE LAISSER ENTRA
Avec sa nouvelle étoile, le chef affirme ses choix et son expérience culinaires.
Alexandre Mazzia, 42 ans, regard doux, allure de basketteur, vient de voir sa créativité doublement récompensée: désigné cuisinier de l’année 2019 par Gault & Millau, il a aussi décroché sa deuxième étoile Michelin, offrant, dans le sillage d’un Gérald Passédat, une nouvelle notoriété à la gastronomie marseillaise. Dans son restaurant à la sobriété japonisante, le chef poursuit sa quête savante d’une autre cuisine, aux confins de l’audace et du somptueux. De son Afrique natale, il a gardé une passion pour les épices, dont il tire une chimie poétique et inattendue. Jonglant avec le cru, le fumé, le brûlé, le torréfié, Alexandre Mazzia invente d’ensorcelantes combinaisons, ose de subtils chocs de textures : les oeufs de saumon au saké crépitent dans le lait fumé au hareng, la mousse d’estragon veloute la biscotte végétale, le riz soufflé croustille dans la crème à la verveine… Au fil des séquences – une quinzaine pour le petit menu – un paysage se dessine, kaléidoscope d’arômes terrestres et iodés, vif, brillant et équilibré. Durant le service, les assiettes, composées comme des ikebanas, glissent en rythme sur le comptoir, où le chef les valide d’un oeil pointilleux. Entre le dressage d’une bouchée topinambour-réglisse-poutargue et celui d’un bol de chou-fleur au jus de dragon, il a répondu à nos questions. Si vous deviez résumer votre parcours en quelques dates? En 2008, mon séjour chez le chef Santi Santamaria, grand défenseur des saveurs du terroir, à Barcelone. En 2011, la rencontre avec ma femme. En 2014, l’ouverture de mon restaurant à Marseille. En 2018, la naissance de ma fille Juliette. Et cette année, l’obtention de ma deuxième étoile au Guide Michelin. Quelle est la philosophie de votre cuisine ? Elle est résolument locavore et ancrée dans son territoire. Je cuisine de façon autarcique,
sans passer commande, avec ce que m’apportent mes fournisseurs : le maraîcher Jean-baptiste Anfosso, un sorcier de la permaculture ; Fabien Gardon, le meilleur pêcheur de Morgiou ; Grégory Philip pour les herbes et les fleurs ; Xavier Alazard pour l’huile d’olive… Ces gens, qui sont des orfèvres chacun dans leur domaine, font partie intégrante de l’histoire du restaurant. Venir manger chez vous, dit-on, est une expérience atypique. Pourquoi ? Les convives s’embarquent pour une traversée à l’aveuglette. Ils optent pour l’un des « voyages » proposés (des menus de 59 à 170 euros) et ne découvrent les plats qu’une fois servis. C’est un contrat de confiance entre eux et moi. Que faites-vous découvrir ? Ma cuisine est inspirée par le salin et le végétal, je laisse la viande à d’autres. Je servirai par exemple une pélamide de Morgiou, sorte de bonite, en « juxtaposition de cuisson » : cuisson vapeur, puis snackée et enfin fumée, une technique qui change totalement la texture du poisson. Mais je peux aussi proposer un denti mariné au saké-betterave, une anguille fumée au chocolat, de la semoule à la fleur d’oranger et au raifort, un trio aubergine-noix de cajou-fruit de la passion… Côté desserts, j’aime bien le mélange patate douce-hibiscus-datte ou le paradoxe d’un sorbet framboise-harissa. En 2019, tout le département va vivre à l’heure de la gastronomie grâce à l’événement MPG 2019 (l’année Marseille Provence Gastronomie). Qu’en pensez-vous ? MPG 2019 sera une grande fête du goût, une aventure collective destinée à installer le territoire dans sa dimension de destination culinaire. Cela tombe à pic pour Marseille, qui connaît depuis peu une véritable effervescence gastronomique, entretenue par de jeunes chefs très doués, comme Harry Cummins à La Mercerie, Julien Diaz chez Saisons, Ludovic Turac chez Une Table, au sud, Éric Maillet chez Cédrat… En septembre, nous allons accueillir l’omnivore World Tour, un festival de cuisine mondial dont je suis un habitué. C’est une grande scène associant les chefs internationaux et les chefs résidents afin de partager les cuisines, interroger les techniques et confronter les cultures. Mais beaucoup d’autres rendez-vous festifs illustreront la créativité de la table en Provence : le quai de Rive-neuve transformé en criée aux poissons, un grand banquet provençal, le championnat du monde des petits farcis, le festival du poulpe ou celui de la soupe, le trophée des maraîchers… Que va changer votre deuxième étoile au Guide Michelin ? Cette distinction m’a valu beaucoup de propositions, mais j’ai tout refusé. J’ai besoin de rester concentré sur mon chemin créatif et je n’ai pas vocation à quitter Marseille, dont la luminosité et les odeurs me rappellent mon Congo natal. Ni ce restaurant, où dix-sept personnes m’épaulent, pour vingt-deux couverts par service, matin et soir, cinq jours par semaine… C’est peu dire que l’humain est au coeur de mon travail. Cette deuxième étoile va nous souder par la fierté, et nous aider à aller encore plus loin dans l’exigence et la sincérité.