COULEURS ET VIBRATIONS
Avec ses teintes et ses motifs qui osent tout, Tricia Guild dévoile sa création dans son dernier livre, à travers ses maisons de Londres et d’ombrie.
Avec sa palette de couleurs qui ose tout et ses motifs aux mille références, la grande dame de la décoration anglaise, Tricia Guild, dévoile dans son dernier livre «In my View», à travers ses maisons de Londres et d’ombrie, son processus créatif, sa façon d’envisager un intérieur qui a pour vocation « d’élever la vie dans une forme d’art». Elle parle d’architecture holistique et de vouloir… moins vouloir.
L’italie, loin de l’effervescence londonienne… Vous revendiquez dans votre dernier livre, In my View, l’inspiration de ce pays. Que vous insuffle l’ombrie, si discrète voisine de la Toscane? La campagne idyllique de l’ombrie occupe une place particulière dans mon coeur. La vue de la maison et du jardin est à 360° sur les vergers lointains. C’est un cadre magique. L’héritage artistique de l’ombrie me subjugue. Il y a une petite sacristie dans l’église de Città della Pieve, non loin de la maison, avec une fresque de Pietro Perugino, dit le Pérugin. C’est une source d’inspiration, de vie, une composition extraordinaire de couleurs. Quelle chance de côtoyer ce patrimoine ! Et il va sans dire que le savoir-vivre italien me séduit toujours avec la même intensité : les marchés quotidiens, la cuisine généreuse, les vins délicieux, l’art omniprésent et l’architecture fabuleuse. Avec l’architecte Stephen Marshall et le paysagiste Arne Maynard, vous avez repensé, pour mieux le révéler, le bâti de cette maison, pratiqué «une interprétation contemporaine du vernaculaire local». Comment cette réécriture se traduit-elle ? Nous nous sommes mis d’accord sur un plan, un langage et un modus operandi pour transformer la collection plutôt modeste des bâtiments – maison principale, d’hôtes et un studio –, qui existait auparavant en une série d’espaces contemporains ouverts qui estompent les frontières entre l’intérieur et l’extérieur, et qui optimisent les volumes et la lumière naturelle. Nous nous sommes restreints à un choix de matériaux : béton, pierre, verre, métal et bois. Nous avons mis en contraste leur sévérité avec l’exubérance des plantes locales, plantées de manière entièrement nouvelle et moderne.
Intérieur et extérieur conversent. Les arbres, les végétaux, les ciels semblent s’étirer à l’infini sur votre palette. Votre approche de la couleur semble ici se radicaliser. La couleur changerait-elle de mission, d’un impact visuel à une émotion, serait-elle une expression de bien-être? Ma maison en Italie est différente de celle de Londres. L’italie est mon «évasion». J’y viens me détendre, passer du temps avec ma famille et mes amis, rafraîchir ma façon de penser. J’ai donc souhaité que la palette de couleurs reflète cette nouvelle donne. J’ai convoqué certaines de mes teintes préférées, apaisantes et vivifiantes : rose pétale, lilas, jade, bleu cobalt et vert intense. Chaque nuance a été choisie pour parvenir à une harmonie entre la maison, les jardins et le paysage. À la fois décoratif et minimal. Cette audace des contraires révèle-t-elle une nouvelle direction créative, comme les couleurs en aplat, les images dans les parties basses qui laissent l’oeil vagabonder? Je fais toujours un pas en arrière. Je me tiens à la porte de la pièce: avec ce point de vue, vous «cadrez» la pièce. Puis, un peu à la manière d’un artiste abstrait plaçant son pinceau sur la toile, je positionne les objets, les meubles, les oeuvres… au bon emplacement, dans la bonne composition, exprimant mon art de vivre. Vous dites dans votre ouvrage « Vouloir moins. Et vivre plus de pair avec la nature.» Quel est l’enjeu dans la conception d’un lieu, le choix du mobilier, des matières? Des lignes architecturales nettes, épurées et de larges perspectives donnent une modernité à cette maison authentiquement italienne. Les sols en béton poli apportent une dimension presque monastique. La lumière naturelle inonde chaque pièce. Couleurs, formes, matières s’expriment dans un mix de meubles contemporains et vintage, une alternance d’unis et de motifs, des tapis refaçonnés. «On est ce que l’on voit», remarquez-vous. Y a-t-il une Tricia Guild italienne, et une londonienne ? Ou une même philosophie anime-t-elle vos deux maisons ? J’ai toujours pensé que l’on était ce que l’on voyait et cela se traduit dans mes maisons. Elles représentent deux facettes de mon existence : en Italie, ma vie est en lien avec la saisonnalité, la nature, c’est un lieu de détente, alors que la vie à Londres est intense. Elle est centrée sur ce que nous faisons chez Designers Guild et sur ma création, elle s’envisage de façon plus expérimentale.