L’ÎLE AUX SENTEURS
La Corse recense plus de 3000 espèces végétales, dont l’immortelle qui inspire quelques natifs de l’île.
UN PAYSAGE DESSINÉ PAR UNE FLORE PLURIELLE, EXHALANT DES ODEURS MIELLÉES, BOISÉES, IODÉES. TROIS MILLE ESPÈCES VÉGÉTALES, DONT 5 % STRICTEMENT ENDÉMIQUES, RECENSÉES PAR LE CONSERVATOIRE BOTANIQUE DE CORSE, HABILLENT LES RELIEFS, ENTRE MER ET MONTAGNE. LA PERSISTANCE DE LIGNÉES ANCIENNES ET SAUVAGES, COMME L’IMMORTELLE, AUX CÔTÉS DE LEURS GRAINES JUMELLES CULTIVÉES EN BIO, DONNE À CETTE TERRE DES VERTUS OLFACTIVES ET CURATIVES, QUI S’OFFRENT À QUELQUES ENFANTS DU PAYS, ATYPIQUES ET ALCHIMISTES.
«Au parfum de son maquis, de loin, les yeux fermés, je reconnaîtrais la Corse. » Patrick Paquet, docteur en chimie et parfumeur, revenu sur son île après de longues années à Grasse et en Italie, à la tête du laboratoire familial Corsica Essences, cite Napoléon Bonaparte pour parler de la spécificité de son île, et afin d’en accentuer sa pérennité. Son statut insulaire, sa géographie et sa topographie alliant, en des dénivelés foudroyants, le niveau zéro de la mer à des sommets de 2700 mètres, sa politique de préservation du territoire, sa non-industrialisation, ses habitants respectueux de la nature sont autant d’explications à ce miracle vert. Ou jaune. « Notre immortelle est différente des autres, parce qu’elle contient des molécules spécifiques pour l’aromathérapie. » Patrick Paquet consacre 25% des bénéfices de son entreprise, installée à Giovicacce, à la recherche, «afin de révéler toujours mieux le caractère d’ici ». Il cite Lucien Acquarone, pionnier en la matière, père de Stéphane, qui est aujourd’hui à la tête d’helios di Corsica avec son ami Noël Andreani et cultive en agriculture biologique l’immortelle sur 85 hectares, dans la plaine orientale. Récoltées au petit matin, entre juin et juillet, les fleurs jaunes sont distillées à la vapeur le jour même et se transforment en huile essentielle. Stéphane Acquarone rappelle qu’on la nomme « l’huile du boxeur,
car elle est anti-ecchymoses et anti-inflammatoire. En cosmétique, elle stimule la production de collagène, atténue les rougeurs de la peau et, en olfactothérapie, elle répare les bleus de l’âme ». En partenariat avec L’occitane, ils inaugureront bientôt le musée de l’immortelle, dévoilant ses richesses comme les différents procédés et brevets déposés qui en permettent la révélation. L’occitane pousse toujours plus loin la sublimation des ingrédients actifs de l’immortelle. Les plantes déjà distillées sont récupérées et séchées, puis se prêtent à une nouvelle éco-extraction pour «un super extrait d’immortelle». Un élixir de jeunesse 100% corse et naturel. L’occitane enrichit sa gamme visage de sept autres actifs: le trèfle d’eau, le myrte, le miel, la bellis perrenis, les huiles d’onagre et de cameline. Stéphane Acquarone d’helios di Corsica préfère la garder pure, en aromathérapie, car «elle est miraculeuse, aussi puissante dans ses vertus que son odeur domine le maquis». Il extrait aussi dans un procédé associant la vapeur, quatorze autres plantes toujours cultivées en bio ou sauvages: la carotte, la criste-marine, le genévrier noir, le laurier, l’inule odorante, le myrte vert, la menthe poivrée, le pin lariccio… Il prévoit également de s’attaquer aux agrumes avec d’autres procédés novateurs d’extraction à froid, en partenariat avec l’université de Corse.
Marie Ceccaldi, dans la filiation de ses aïeules guérisseuses, de sa mère
naturopathe, crée Casanera, en 2011, «afin de restituer le nectar de la flore de ma Balagne natale, gigantesque bouquet de myrte, d’immortelle, de genévrier, de népita, une marjolaine très puissante… Mon arrière-grand-mère est de Moltifao, qui veut dire “le pays du miel” en corse. J’ai toujours connu des bonbonnes de macération, des plantes dans des huiles, le lentisque séchant sur les draps après la cueillette. Ma mère a ouvert en 1978 une herboristerie et faisait sa saponification, des crèmes naturelles, et même du mascara. J’ai voulu rester sur ces bases-là». Quand Marie Ceccaldi ouvre avec son mari l’hôtel La Signoria à Calvi, elle ne peut imaginer pour le spa que des produits fidèles à la tradition familiale. «Nous avons été élevés avec des immortelles sauvages en bord de mer. Aujourd’hui, j’en cultive 2 hectares sur ce terrain où elles étaient déjà. C’est une plante miraculeuse.» Sa grand-mère de 96 ans lui a transmis les secrets du maquis, dont le ciste, la menthe, la lavande, aux vertus curatrices. Marie Ceccaldi ne fait aucun compromis qui pourrait en altérer les précieux actifs. «Tout est cueilli à la main dans des endroits secrets, à des moments très précis, distillé immédiatement, macéré à l’ancienne, suivant le cycle lunaire, extrait à froid. » Elle travaille avec des passionnés comme elle: Michel Pobeda de La Bohème, pour les crèmes fouettées, sans conservateur, des savons naturellement riches en glycérol, et Patrick Paquet de Corsica Essences. «Nous avons pratiqué trois distillations différentes de l’immortelle, celle de la plante encore fermée et très boisée, de la fleur à son apogée épicée, et enfin la sèche de septembre, pour l’eau de parfum Giallu di Sole. À l’opposé, la fougère, le pin laricio, la menthe sauvage explosent de fraîcheur pour la senteur Bonifacio, évoquant les baignades de mon enfance dans les torrents de montagne. Plus de quarante huiles essentielles le composent», souligne Marie Ceccaldi.
«La Corse, je l’ai reçue en héritage» : Marc-antoine Corticchiato porte le nom de son village. Il grandit dans les senteurs, celles du maquis entourant la maison familiale, des agrumes des vergers de son père au Maroc, du cheval dont il est un cavalier émérite. À la croisée de ses chemins odorants, il explore durant son doctorat en chimie la genèse des parfums dans les végétaux et double sa formation avec celle de parfumeur à L’ISIPCA de Versailles. Puis il parcourt le monde, de Madagascar au Vietnam en passant par le Bénin, en compagnie de Lucien Acquarone, ingénieur en génie thermique, à l’origine de plusieurs distilleries, à la recherche de matières premières. Il lui dédie son dernier parfum: Le Mal Aimé, mettant en flacon et en vedette les mauvaises herbes, dont la linule et l’ortie, mariées à un tapis d’iris. Marc-antoine Corticchiato entend renouer avec les origines même du parfum, bienfaisantes voire thérapeutiques, et sacrées. Ses créations sont aussi charnelles que spirituelles. «La collection Héritage raconte ma Corse: Salute!, son vignoble; Acqua di Scandola, la magie de cette presqu’île ocre aux grottes impressionnantes; Corsica Furiosa, l’intensité des relations, des reliefs, des paysages; Eau de Gloire, un hommage aux Corses partis bâtir autre chose, de Napoléon à mon père.» Des parfums d’empire!
« L’antique serpette de mon grand-père. » Xavier Torre arpente le maquis, en noir et en tong, une petite faux dentelée à la main. Même si aujourd’hui l’immortelle est mise en culture par plus de vingt agriculteurs, il aime toujours pratiquer la cueillette sauvage qu’il participe aussi à réglementer, en tant que président de la fédération Corsica Cosmetica, à travers l’établissement de chartes avec le Conservatoire du littoral et de demandes d’autorisation auprès de la Préfecture. Le Conservatoire du littoral poursuit d’ailleurs son rachat de terrains et possède aujourd’hui un quart des côtes. Marie Ceccaldi souligne l’unicité du patrimoine corse à préserver : « De notre chaîne de montagnes, qui compte cent vingt sommets de plus de 2000 mètres, coule l’eau des glaciers, se purifiant tout au long de sa descente. Les nappes phréatiques sont ici les plus pures. » Xavier Torre pointe aussi le développement d’une filière de plantes aromatiques et médicinales, à l’origine d’écosystèmes vertueux. La cueillette permet l’entretien du maquis, participe à lutter contre les incendies et offre des revenus complémentaires aux bergers, qui ramassent la népita. Sous la bannière Testa Maura, référence au drapeau corse, se déploie la collection noire de parfums aux puissants ingrédients naturels, à laquelle vient se greffer l’eau de cologne Capo di Feno. Embruns marins et chaleur des immortelles.