Vagabondage gustatif
ICI C’EST LA CORSE TOUT ENTIÈRE QUE L’ON INTERPRÈTE. CELLE DES PAYSANS, DES PÊCHEURS, DES PRODUCTEURS. LES PLATS RACONTENT LA PÊCHE AU PETIT JOUR, LE RAMASSAGE DES SALICORNES DANS LES MARAIS SALANTS, LA CUEILLETTE DES HERBES SAUVAGES, LA RÉCOLTE DES LÉGUMES BIO, LES SAVOIR-FAIRE TRADITIONNELS… ET LEUR SUBLIMATION PAR DES CHEFS PASSIONNÉS. ASSIETTES LIBRES OU PALETTES POINTILLISTES, HAUTES EN COULEURS ET EN SAVEURS.
JEUNESSE CRÉATIVE
L’antigu est un restaurant créé par Patrick Evesque et son frère en 1989, posé à l’à-pic du bastion de Porto-vecchio. En cuisine, un duo de futurs très grands chefs, met à l’honneur les producteurs locaux. Avant d’entamer leur journée Maxime Olive, 27 ans, et le pâtissier Antony Rafaitin, 24 ans, ont déjà quelques heures d’avance. «À 6 h 30, on passe prendre les herbes chez Marc Ceselia puis la viande et les terrines chez Sébastien Duval, le poisson chez Michel le pêcheur, la saucisse chez Tonton Franck, le miel chez Stéphane Micaelli, l’apiculteur.» Après des parcours à l’international, ils exhalent ici la Corse. Maxime Olive la révèle «en la portant vers le Japon», jeu subtil d’épices, de marinade, de teriyaki. Antony Rafaitin en rend la quintessence dans ses glaces à l’immortelle ou à l’hibiscus.
L’ANTIGU
Carte entre terre et mer, produits corses à l’honneur. Vue sur le golfe et terrasse en plein ciel.
FAMILLE ET TRADITION
Presque cinquante ans que Le Relais de Sotta régale d’une cuisine de tradition corse. Aujourd’hui, c’est au tour de Véronique Fresi d’être cheffe, après sa mère et sa grand-mère. Elle porte haut les couleurs fauves des vaches de l’aubrac, devenues corses dans les pâturages de son mari Jacky Pandolfi. Ce dernier préfère au terme de culture «raisonnée», celui de «raisonnable»: «40 bêtes sur 80 hectares et toujours une attention extrême portée à la qualité des sols, et ce qui se passe autour». En tartare, en tian, en quasi, en sauté, le veau se prête à toutes les interprétations. En salle, les deux fils, Jacques-antoine et Pierre-olivier les ont rejoints.
Soupe « Mode Corse » aux légumes de saison, beignets de fromage frais, courgettes farcies et desserts de Jessica Dufossé, cheffe en second.
DE MÈRE EN FILLE
Dans cette ancienne maison bonifacienne, les recettes se transmettent oralement, de génération en génération, dans la chaleur des fourneaux. L’arrière-grand-mère Catalina les a données à sa fille, Anna Ettori, surnommée «l’étoile d’or» qui s’attacha à élever au rang gastronomique la cuisine bonifacienne de sa mère autour des aubergines farcies, des pâtes au four, des raviolis au bruccio. Ses deux filles Marie-diane et Cathy-anne aujourd’hui maîtres des casseroles, perpétuent la tradition, avec déjà la petite dernière en salle. « On accède aux cuisines souvent vers 40 ans, au passage du flambeau.» À la carte, carpaccio d’artichauts confits, linguine et langoustines, veau mi-cuit et asperges sauvages… les plats sont généreux.
Une terrasse sur les quais du port, un intérieur voûté évoquant les grottes des falaises calcaires de Bonifacio, Da Passano intrigue. L’architecte basque Patrice Gardera s’est inspiré d’une excavation découverte au fond du restaurant. De larges lattes en bois s’entrecroisent et soulignent les courbes des plafonds puis gagnent les murs. Le sol en béton ciré contraste avec les aspérités rocheuses. L’ambiance est celle d’une cave à vins contemporaine qui s’habille de musique le soir venu. Les tapas, servies sur de grandes ardoises, invitent au partage.
Loup farci au brocciu et pancetta, storzapretti, saint-jacques rôties à la mandarine, poissons flambés au thym…
LE RELAIS STELLA D’ORO TAPAS CORSES DA PASSANO
L’ART DU COUTEAU
Encore une histoire familiale. Le père, Jean-pierre Ceccaldi, décide en 1978 de rentrer en Corse, au village de Sollacaro, et de relancer la coutellerie corse. Il se forme auprès d’un enseignant à la retraite et redécouvre le couteau de berger. D’autres suivent quand ses fils Sylvestre et Simon le rejoignent. Six collaborateurs oeuvrent dans l’atelier de Porticcio, chacun maîtrisant les étapes, de la conception à l’affûtage, des couteaux emblématiques de la Corse, du stylet à celui du berger ou le nommé vendetta. Labellisée Entreprise du Patrimoine Vivant, la coutellerie Ceccaldi a entraîné d’autres artisans dans sa passion.
CECCALDI, ARTISAN COUTELIER
Tradition et création se déclinent en noyer, ébène, olivier. Bois ou corne pour les manches, lames en acier carbone ou en acier feuilleté.
ÉCRIN D’ENVIES
Une telle concentration de marques artisanales, créatives, éthiques dans un si petit espace tient de l’exception. Depuis 1994, le choix de l’instigateur, Gilles Massena, est éclectique, son oeil acéré sourçant ce qui a du sens: les bijoux-sculptures de Monies, les pierres de Marie-hélène de Taillac, les sacs Isaac Reina, Bleu de Chauffe, Auguste, les jeans Edwin, les robes Indress. «J’aime les pièces hors norme, je m’attache à la matière.» Des vases en laque japonaise côtoient des bois fossilisés et des oeuvres d’artistes de Porto-vecchio comme Frédéric Damm et Jacques Papi ou encore les photos de Philippe Poitevin.
LA MAISON SUR L’ÎLE
Mode, design, accessoires, parfums, art de la table et objets de provenances multiples se mélangent.
PARFUMERIE D’AUTEUR
Des marques certifiées bio, éco-responsables, de Brooklyn, Copenhague, Sydney… Les savons, les encens, le palo santo d’incausa se mêlent aux bougies potagères de L:A Bruket venues de Suède, ou encore celles Wabi-sabi de Bretagne. Cette recherche de produits alternatifs, Marie-jane Andreani, fondatrice de 100ML avec son mari Valentin Richard, la pratique dans l’univers de la beauté et des parfums. Elle les repère souvent sur Instagram, puis mène l’enquête, rencontre les créateurs, producteurs, et les référence s’ils correspondent à ses valeurs: l’écologie et l’originalité des flacons et de leurs habillages.
100ML
Parfum d’empire de Marc-antoine Corticchiato, ode à la Corse, parfums de Filippo Sorcinelli, Frédéric Malle, Miller Harris…
ESSENCES ESSENTIELLES
Dans la lignée de sa grand-mère guérisseuse, de sa mère naturopathe, Marie Ceccaldi crée Casanera, une marque de produits de soins et de parfums 100 % naturel, 100 % corse, en partant des qualités des plantes et herbes sauvages endémiques comme «le ciste, les menthes, la lavande, la myrte… ». Marie Ceccaldi ne pratique aucun compromis pouvant en altérer les précieux actifs qui intègrent ses crèmes, baumes et laits. «Tout est cueilli à la main dans des endroits secrets, à des moments très précis, distillé immédiatement, macéré à l’ancienne, suivant le cycle lunaire, extrait à froid.» Les parfums sont formulés avec un autre puriste de l’île, Patrick Paquet.
CASANERA
Boutique tout en noir pour des bougies, parfums, eaux, hydrolats, crèmes et huiles dont une fameuse à l’immortelle.
COMPOSITIONS LIBRES
Les étoilés et Relais & Châteaux lui donnent carte blanche. De véritables lieux d’expression pour le coloriste Pierre-anthony Lorenzoni, passionné de décoration. Juriste avant d’être fleuriste et de reprendre la boutique de ses parents, il revendique son approche autodidacte, non formatée, qu’il lui permet toutes les associations, toutes les audaces. Il privilégie les circuits courts –« on ne travaille jamais avec le frigo » – avec une horticultrice de Bastia, et pense à cultiver son propre champ de fleurs. Une réflexion postconfinement mais en maturation depuis longtemps.
ANNIE FLEURS
Pierre-antony compose « à l’instinct » et mêle fleurs de saison, endémiques, sauvages et feuillages, selon l’esprit des lieux.
REPAIRE DE CURIOSITÉS
Daphnée Halewa-fall commence par dessiner des bijoux en bronze dès 18 ans, puis des robes légères, des tuniques fluides dans des cotons indiens travaillées avec une designer textile, sous la marque IZI.MI. Le succès est tel qu’elle a 200 points de vente dans le monde. Dans les années 2000, elle ralentit le tempo, privilégie la création, soigne l’imaginaire, et vient mêler à la mode, des objets, des céramiques, des meubles chinés avec ce même oeil libre. «Je vais curioser » dit-elle quand elle part en quête de trouvailles. «Il faut prendre le temps de désirer.» Et c’est précisément ce qu’elle instille dans ce drôle d’endroit.
GENERAL STORE BY
Au hasard des trouvailles, des lampes 1960 de Doria Leuchten, des appliques 1970 de Giuseppe Cormio, de Joe Colombo, des céramiques 1950.
CÉPAGES ENDÉMIQUES
1880, 450 hectares de vignes à Bonifacio, 1980, plus de vigneron, 2021, 4 domaines viticoles. Christian Zuria est l’un des premiers à se réimplanter en 2010, sur la terre de ses grands-parents. Il quitte la plaine orientale, la culture des mandarines avec l’objectif «de faire renaître le patrimoine viticole oublié de Bonifacio». Avec l’aide du CRVI, le Centre de recherche viti-vinicole insulaire, il réintroduit des cépages anciens, en terrain argilocalcaire pour «des rouges et des blancs soyeux qui pinotent». Soit 11 hectares certifiés bio et en conversion biodynamie. Un cépage sciaccarellu et un très rare morescone.
DOMAINE ZURIA
Cave avec espace de vinification pour travailler les vins en gravitaire et un chai consacré au vieillissement.
ÉLOGE DU FAIT MAISON
Cinq heures du matin, Christiane Scarpelli est en cuisine et Antoine, son mari, la rejoindra bientôt pour tenir la boutique. À l’âge de la retraite, elle choisit de continuer à partager ses douceurs, version sucrées et salées. Sa spécialité, les sciacci, des chaussons au brocciu et aux zestes d’orange, et aussi, enroulées dans « sa pâte brisée moins grasse », les bastelle, aux blettes, brocciu et menthe ou aux aubergines, courgettes et fromage de chèvre, ou encore son moelleux à la farine de châtaigne. Son fils aîné prend la relève dans la soirée et fait les fameux canistrelli au vin blanc.
SUCRÉ SALÉ
Aubergines farcies, lasagnes de légumes, courgettes au brocciu, sauté de veau aux olives, polipetti in salsa rossa et fiadone.
CARTOGRAPHIE GOURMANDE
Les parents Danielle et Jean-louis Andreani créent l’épicerie L’orriu en 1985 à Porto-vecchio. Ils rassemblent dans leur caverne d’ali Baba le meilleur des terroirs de la Corse et militent avec les producteurs pour la reconnaissance des AOP, notamment celui du porcu nustrale, race endémique de cochons noirs réintroduite en Corse dans les années 1990. Delia Andreani, leur fille, continue cette anthologie des produits corses de haute qualité, avec une sélection sans compromis. Huile d’olive du domaine de Marquiliani, fromages de brebis des frères Orsatelli, miels de Pierre Carli, confitures Anatra…
L’ORRIU & A CANTINA DI L’ORRIU
Charcuterie, fromages, vins et kits recettes pour le moelleux aux noisettes, les pâtes à l’amatriciana Nustrale…