VARIATION FANTASMAGORIQUE AUTOUR DE LA MATIÈRE
Pascal Liengme fouille dans les entrailles de la matière pour offrir une interprétation poétisée des origines de la Terre. Le plasticien suisse, installé à Genève, pratique avec maestria la sculpture artistique, la gravure, le dessin et la peinture pour dynamiser ses réflexions créatives autour d’un monde perdu imaginaire.
Aux origines de son art, il y eut « des visites de lieux anciens, probablement sacrés telles des installations de menhirs ou de dolmens » explique Pascal Liengme. Si de l’aveu de l’artiste, « cette fascination pour les traces d’un monde dont on a perdu le sens » a opéré immédiatement, c’est en raison du caractère énigmatique de ces éléments mégalithiques. « On fait des théories dont les explications scientifiques s’affinent, mais restent des suppositions. Ce qui me plaît, d’ailleurs, c’est de constater une chose faite sans savoir pourquoi elle a été faite. » École des arts décoratifs, puis des Beaux-arts à Genève suivies de cours du soir en taille de pierre dispensés par des Compagnons, ont fait éclore le talent de celui qui s’inspire également des nuraghes, ces constructions en forme de cônes en pierre. Pour le sculpteur, le classicisme des débuts cède rapidement la place à des oeuvres contemporaines. Une première série de sculptures en pierre et métal ou pierre et bois, dénommée « Petites sculptures monumentales », voit le jour. Inspirée des premiers observatoires astronomiques arabes, elle est composée de constructions imposantes pourvues d’escaliers. « Faire du monumental en petit est un défi et une expérience intéressante. »
Un monde perdu imaginaire
Puis l’homme de l’art s’oriente vers un nouveau thème. « Je me suis rapproché plus de la nature que des hommes afin de décliner sur une sorte de monde perdu, en imaginant que l’on découvre aujourd’hui une période de l’histoire de la Terre méconnue jusqu’alors. » De ses oeuvres fantasmagoriques jaillissent alors « des météores architecturaux imaginaires, placés sur des flux » précise le plasticien qui a travaillé autour de l’idée de la sortie de terre. « Je suis du signe du Taureau. J’ai réalisé un travail en lien avec la Terre sur un principe de strates à l’image de fouilles archéologiques. » Pour concrétiser son ouvrage d’art, il recourt aux pierres erratiques. « J’ai l’habitude de travailler des matières dures. Des pierres que personne ne veut comme les schistes ou les granitiques. Ce qui ne m’empêche pas d’utiliser le marbre, le bois ou encore le fer. Je travaille des éléments très classiques mais ce qui m’intéresse c’est ce qu’on peut faire avec. »
Créer des émotions
Si Pascal Liengme multiplie les associations de matières et les disciplines créatives, c’est pour éviter la redondance et renforcer les émotions. Lui qui apprécie fantasmer à partir d’un élément réel en réécrivant une page de son histoire, s’adonne aussi à la gravure. Un art qu’il qualifie de « sensuel comme une empreinte de pas dans la neige par des animaux ». Un principe hautement lyrique qui laisse place à beaucoup d’imaginaire. « Dans mes gravures, je vais par exemple réaliser plein de têtes et de nageoires différentes, pour que le spectateur s’amuse à créer son propre poisson. Quant au domaine botanique, je vais rechercher des images anciennes d’espèces, pour me permettre de mieux délirer dessus. Le jeu est une chose indispen sable qui fait partie du plaisir. » Si l’artiste suisse éveille la curiosité, c’est pour offrir aux autres une évasion par la création. Ce n’est donc pas un hasard, s’il exprime son talent dans d’autres univers. « Les dessins ont une écriture plus près du fantasme et la peinture serait plus comme une sorte de rêve. » Des disciplines qu’il a expérimentées dès son plus jeune âge. « Mes deux parents étaient peintres, j’ai été sensibilisé très tôt à la peinture à l’huile et la tempera. Avec ces techniques, l’artiste aime insuffler des « impressions que l’on ne peut pas palper ». Toujours inspiré de cette pensée de Pierre Soulages qui résume à elle seule son oeuvre : « C’est ce que je fais qui m’apprend ce que je cherche »…