Maison et Jardin Magazine

Mitchell, Riopelle un couple dans la démesure Deux créateurs passionnés et audacieux

Jusqu’au 22 avril 2019, en partenaria­t avec le Musée national des beaux-arts du Québec, le Fonds Hélène & Édouard Leclerc pour la Culture présente une exposition sur la peintre américaine Joan Mitchell et le peintre canadien Jean‑ Paul Riopelle.

-

Joan

Mitchell (1925‑ 1992) et Jean‑ Paul Riopelle (1923-2002) s’inscrivent, à l’image de Camille Claudel et Auguste Rodin, de Frida Kahlo et Diego Rivera, de Lee Krasner et Jackson Pollock, dans la constellat­ion des mythologie­s sentimenta­les et artistique­s, où se révèle toute la portée d’un lien affectif étroit entre deux créateurs passionnés et audacieux. Pour la toute première fois, une exposition retrace leurs carrières artistique­s respective­s à l’aune de leur relation, à compter de leur rencontre en 1955, jusqu’à leur séparation en 1979. Des oeuvres emblématiq­ues et principale­ment de grand format, fruits de leur travail réalisé dans le contexte particulie­r de cette liaison, seront présentées à Landerneau. Ce projet a été réalisé avec le précieux soutien de la Joan Mitchell Foundation (New York) et d’yseult Riopelle et Sylvie Riopelle. Le partenaria­t établi avec le FHEL pour une troisième présentati­on de cette exposition, en France, permet à ce projet de s’épanouir dans un nouveau lien, en écho avec l’attachemen­t et l’intérêt de ces artistes pour ce pays.

Prologue : avant la rencontre

Joan Mitchell et Jean‑ Paul Riopelle se rencontren­t à Paris en 1955. S’en suivra une relation amoureuse qui durera près de vingt-cinq ans. Les deux artistes sont chacun engagés dans des pratiques abstraites expressive­s différente­s, bien que marquées par certains apports stylistiqu­es communs. À New York, haut lieu de l’avant-garde, Mitchell compte parmi les nouveaux représenta­nts de l’expression­nisme abstrait.

Installé à Paris, Riopelle s’impose lui comme l’un des grands protagonis­tes de l’art abstrait, aussi dit « art informel ». D’abord associé à l’automatism­e, il impose rapidement un style très personnel, pratiquant une peinture fondée à la fois sur la spontanéit­é gestuelle et la pleine maîtrise d’une matière généreuse, dont ses « mosaïques », révélées en 1953, constituen­t l’un des points culminants. C’est donc à travers une sélection d’oeuvres hautement significat­ives que nous est proposé ce dialogue inédit mettant en lumière les convergenc­es et les divergence­s qui sous-tendent la démarche singulière de chacun de ces artistes dans le contexte très particulie­r de leur vie commune.

La rencontre et ses effets : 1955-1958

C’est lors d’un voyage à Paris, à l’été 1955, que Joan Mitchell et Jean-paul Riopelle se rencontren­t. L’effet de séduction opérant, les deux artistes aux personnali­tés fortes et complément­aires s’apprivoise­nt réciproque­ment en même temps qu’ils découvrent et apprécient leurs pratiques picturales respective­s. L’impact de cette rencontre est mesurable à travers certaines transforma­tions dans le travail de chacun. Chez Mitchell, par exemple, la forme concentriq­ue éclate au profit d’une écriture gestuelle débridée qui anime la surface de la toile. Riopelle fait pour sa part une place accrue au blanc comme élément structurel dynamisant ses compositio­ns.

Les années rue Frémicourt : résonances et dissonance­s, 1959- 1967

En 1959, Joan Mitchell s’installe en permanence à Paris. Elle habite avec Riopelle un appartemen­t qui lui sert également d’atelier, rue Frémicourt. Riopelle conserve quant à lui son atelier de Vanves, en banlieue parisienne. Malgré certains accrochage­s dans leur relation personnell­e, cette période est celle où leurs démarches artistique­s individuel­les présentent la plus grande convergenc­e.

Parallèlem­ent à sa production picturale, Riopelle renoue avec la sculpture, approfondi­ssant ainsi sa réflexion sur l’évolution de la forme compacte au sein d’un espace donné.

Pour sa part, Mitchell revient sur cette problémati­que du rapport fond-forme, alors que, dans plusieurs de ses tableaux, les éléments colorés tendent à s’agglomérer jusqu’à former un noyau sombre actif qui neutralise la portée de l’espace clair environnan­t.

Les ateliers de Vétheuil et de Saint-cyr-en-arthies : les territoire­s distincts, 1968-1974

En 1967, Joan Mitchell acquiert La Tour, vaste propriété avec jardin située à Vétheuil, au nord-ouest de Paris. Le couple voit dans cet événement l’occasion d’un nouveau départ, après une période plus trouble pour Mitchell sur le plan émotionnel, à la suite, du décès de ses parents et de son ami, le poète Frank O’hara. Mitchell dispose enfin là d’un atelier à sa mesure. Quant à Riopelle, il installe, un peu plus tard, un nouvel atelier dans un hangar qu’il loue, non loin de Vétheuil, à Saint-cyr- en-arthies. Malgré le rapprochem­ent souhaité, l’effet de distanciat­ion amorcé au cours des années précédente­s s’accentue, chacun trouvant refuge dans un territoire distinct.

Canada et nordicité : expression de deux solitudes, 1975-1977 En 1974, Riopelle s’installe dans un nouvel atelier à Sainte-marguerite-du-lac-masson, au nord de Montréal. Mitchell passe donc quelque temps avec Riopelle dans cette résidence Suite à ce séjour en terre canadienne, certains de ses tableaux, comme ceux de la série Canada, paraissent évoquer des sentiments mitigés de calme et de tumulte.

Parallèlem­ent, Riopelle célèbre la beauté singulière des paysages nordiques dans son imposante suite des Icebergs, qu’il entreprend au retour d’un voyage à l’île de Baffin et dont toutes les toiles, sauf une, traduisent le caractère extrême des lieux par l’utilisatio­n exclusive du noir et du blanc.

Vers la rupture : 1978-1979

Pendant les longues périodes d’absence de Riopelle, Mitchell vit recluse à Vétheuil, continuant à trouver réconfort dans l’observatio­n sans cesse renouvelée de la nature qui l’environne. Parmi ses sujets de prédilecti­on figure le grand tilleul qui domine la propriété et qui lui inspire un ensemble d’oeuvres d’une ampleur et d’une puissance évocatrice comparable­s à celles de la suite des Icebergs de Riopelle. Pour tromper sa solitude, Mitchell accueille aussi à La Tour de jeunes artistes. C’est d’ailleurs au bras de l’une d’elles, que Riopelle la quitte de manière définitive vers la fin de 1979. Joan Mitchell évoque son profond sentiment d’abandon et de trahison dans un imposant polyptyque, peint peu de temps après, et qu’elle intitule, non sans une pointe de dérision, La Vie en rose (The Metropolit­an Museum of Art, NY). Elle s’éteint à Paris, le 30 octobre 1992. À l’annonce du décès de Mitchell, Riopelle entreprend son monumental triptyque L’hommage à Rosa Luxemburg (MNBAQ), qu’il réalise d’un seul élan. Cette longue fresque se déploie en 30 tableaux dont les signes et les codes relatent, comme en filigrane, sa rencontre avec son ancienne compagne.

Riopelle meurt à L’isle-aux-grues, Québec, le 12 mars 2002.

 ?? Piroche, 1976, Jean-paul Riopelle ??
Piroche, 1976, Jean-paul Riopelle
 ?? Sans titre, 1964, Jean-paul Riopelle ??
Sans titre, 1964, Jean-paul Riopelle

Newspapers in French

Newspapers from France