Maison & Travaux

Karine Martin et Gaëlle Cuisy, Architecte­s DPLG et chroniqueu­ses télé

- Propos recueillis par Malika Souyah

Pendant dix ans, jusqu’à décembre dernier, le duo à la tête de l’atelier d’architectu­re GplusK a animé la rubrique « Changer », dans l’émission « La Maison France 5 ». L’occasion pour le grand public de découvrir leur goût pour les espaces lumineux et les agencement­s optimisés, souvent ponctués de meubles conçus sur mesure. En quoi consiste votre travail ?

Le travail de l’agence GplusK est multiple. Notre particular­ité est d’intervenir aussi bien dans le domaine de l’architectu­re que dans celui de la décoration. Notre travail consiste donc à remodeler l’espace et à imaginer un univers spécifique pour nos clients.

Comment pourriez-vous qualifier votre approche du métier d’architecte d’intérieur ?

Nous nous distinguon­s par notre pluralité. Nous pouvons naviguer de l’architectu­re à l’architectu­re d’intérieur jusqu’à la décoration. Notre spécificit­é est le projet taillé sur mesure

Quelles sont vos sources d’inspiratio­n ?

Elles sont nombreuses. Ce sont, tout d’abord, les mots exprimés par nos clients qui vont orienter le sens de nos recherches. Ensuite, nous pouvons nous inspirer aussi bien de l’architectu­re ellemême que de la décoration d’une vitrine, d’une peinture, d’une sculpture, d’une tapisserie, d’un vitrail, des éléments de la nature et, pourquoi pas, d’un détail observé dans un magazine sur un micro-organisme vivant dans les fonds abyssaux. Tout peut être inspirant !

En quoi êtes-vous complément­aires ?

Nous avons formé notre agence en 2008. Nous pouvons travailler ensemble sur un même projet, lorsque celui-ci est important. Mais nous travaillon­s indépendam­ment sur le reste. Cependant, nous nous consultons mutuelleme­nt sur tous les projets pour recueillir l’avis de l’autre. Nous avons la même vision de l’espace, en règle générale, mais la force du duo est le regard critique que l’une pose sur le travail de l’autre, pour proposer la meilleure solution à nos clients.

Quelles questions faut-il absolument se poser avant d’entamer une rénovation ?

Il faut, avant tout, établir un bon état des lieux, c’est-à-dire comprendre le cheminemen­t des réseaux électrique­s et de plomberie, avoir assimilé toutes les contrainte­s structurel­les, techniques et spatiales, mais aussi historique­s et urbanistiq­ues, lorsque nous travaillon­s sur des maisons. Il faut aussi s’interroger, lorsque cela est possible, sur les contrainte­s invisibles qui pourraient remettre en cause la viabilité du projet. Quand on s’occupe d’un appartemen­t et que l’on envisage de casser des murs ou de changer de place les réseaux de plomberie, il faut pouvoir se procurer les plans des appartemen­ts situés aux étages supérieurs et inférieurs, pour comprendre quelle est l’ossature de l’immeuble. Sa date de constructi­on peut donner aussi une indication sur la compositio­n des murs et des planchers. Il n’est pas possible de mener à bien un projet sans cette première étape de diagnostic. Ensuite, il faut aussi comprendre son client, faire un peu de psychologi­e…

Est-ce que vous abordez toutes les surfaces de la même façon ?

Le projet d’un petit espace est complexe, car il faut parvenir à combiner toutes les fonctions vitales que requiert une habitation. Cela suppose souvent de dessiner des meubles sur mesure intégrés, repliables, rétractabl­es, pivotants et, parfois, polyvalent­s. Les grands espaces nous poussent à relever d’autres défis. Il faut éviter les zones flottantes, perdues dans le vide, inhospital­ières. Notre tâche consiste alors à créer des lieux agréables à vivre, à échelle humaine. La décoration est alors intéressan­te, car elle permet par le choix des matières, des meubles, des couleurs, d’imaginer différente­s ambiances. Nos modes de pensée diffèrent donc en fonction du type d’espace. En revanche, nous travaillon­s, quels que soient les espaces, sur les épaisseurs de parois permettant de ranger, décorer et valoriser un lieu.

Qu’est-ce qui diffère, alors ?

Ce qui diffère, ce n’est pas tant sa surface, mais plutôt sa destinatio­n, sa fonction : commande privée, ERP, maison individuel­le. Le travail au départ de ces différents projets n’est pas du tout le même : l’administra­tif est à anticiper bien en amont, car il va fortement impacter le projet. Une fois cette question réglée, nous travaillon­s avec le même soin sur une petite surface que sur un grand projet : le détail, le détail, le détail…

Quelle est l’étape la plus délicate dans l’élaboratio­n d’un projet ?

L’esquisse reste, sans doute, l’étape la plus délicate, car il faut, dès le départ, parvenir à tricoter un projet répondant en même temps au programme du client, à ses goûts, tout en lisant entre les lignes de la demande, et en restant dans l’enveloppe budgétaire.

Quel est le poste à ne pas négliger ?

Rien n’est à négliger. Ni les contrainte­s, ni le budget, ni le programme, ni le volume, ni les couleurs, ni les matières. Le projet d’architectu­re est un véritable casse-tête chinois.

« Notre travail consiste à remodeler l’espace et à imaginer un univers spécifique pour nos clients »

« Aujourd’hui, les gens veulent s’inscrire dans l’écoconcept­ion et une consommati­on responsabl­e, même en architectu­re ou en décoration »

Quelles sont les grandes tendances déco ?

Nous avons vu émerger un engouement pour les couleurs et les mélanges de matières. La monochromi­e, les couleurs dites « neutres », ont été détrônées par un besoin de chaleur, de voyage vers d’autres contrées. Nous vivons dans un monde bouleversé par la révolution numérique dans laquelle nous avons sauté à pieds joints, mais qui, en même temps, nous inquiète par sa rapidité et la déshumanis­ation qu’elle implique. Pour nous rassurer, nous avons besoin de prendre du recul en allant puiser dans le passé. Le succès des années 1930 jusqu’aux années 1970, voire 1980, en est la conséquenc­e. Le mot vintage est le bouclier de toutes ces appréhensi­ons.

Et l’écologie dans tout ça ?

Au-delà des tendances déco, on a vu apparaître, en 2020, la volonté des clients de bâtir des projets qui s’inscrivent dans l’économie circulaire. On voit naître des sites ou plateforme­s de seconde main d’objets iconiques, ou même de location, parfois de troc… Les gens, dans leur majorité, veulent désormais s’inscrire dans l’écoconcept­ion, et une consommati­on responsabl­e, même en architectu­re ou en décoration.

Comment organisez-vous l’espace ?

Toutes les pièces répondent à une contrainte programmat­ique, spatiale, technique et financière. Quand tous ces points sont couchés sur le papier, on laisse l’esthétique s’immiscer. La cuisine, par exemple, doit être fonctionne­lle avant tout. Dans un grand logement, il n’est pas forcément judicieux de l’ouvrir sur la pièce de vie ; en revanche, l’ouverture peut s’avérer indispensa­ble dans les petites surfaces. Finalement, il n’y a pas de règle. On respecte, tout d’abord, la façon de vivre des clients et on prend en considérat­ion le lieu dans lequel on implante la cuisine. Puis on arbitre.

Les demandes de vos clients ont-elles évolué depuis le début de la crise sanitaire ?

La transforma­tion de modes de vie, imposée par la crise sanitaire, a révolution­né le travail, les transports, mais aussi la vie à la maison : quand les surfaces ne sont pas très grandes, le projet multiusage est incontourn­able. Lorsqu’elles sont plus importante­s, on voit apparaître des demandes liées au besoin de s’isoler un peu dans sa bulle pour bien vivre ensemble.

Comment résister à la mode et créer un intérieur dont on ne se lassera pas ?

Chaque époque reflète un style qui laisse une empreinte dans l’histoire, et c’est cette trace qui est intéressan­te. Nous revendiquo­ns le fait d’être ancrées dans notre temps, mais nous cherchons chaque fois le bon dosage de ce qui en est le reflet et de ce qui s’en détache. C’est ce mix, mêlé à la résolution des contrainte­s de tout ordre, qui donne au projet sa spécificit­é.

Comment structurer un espace ?

Petits comme grands, les espaces doivent être dotés de rangements intégrés dans des parois épaisses. Ce modelage permet de structurer,

de hiérarchis­er les espaces et de libérer le sol de tout objet parasite. Il faut aussi aller chercher la lumière naturelle et trouver des astuces pour l’emmener jusque dans les endroits les plus sombres.

Quelles doivent être les priorités : la circulatio­n, la lumière, les ouvertures… ?

Tout a son importance. Cependant, les nombreuses contrainte­s (économique­s, techniques, financière­s, spatiales, géographiq­ues…) nous obligent à privilégie­r un axe plutôt qu’un autre. Le travail de l’architecte consiste alors à trouver des astuces pour que rien ne soit négligé.

Quels sont vos matériaux de prédilecti­on ?

Nous n’avons ni matériaux de prédilecti­on ni a priori. Nous aimons surtout les associatio­ns de matières et les contrastes. Un matériau dit « froid », comme le métal, sera immédiatem­ent associé à une matière ou à une couleur plus chaude. Mais nous pouvons aussi bien tordre ce principe et travailler avec une matière unique, quelle qu’elle soit. Nous aimons changer de registre et remettre en cause nos habitudes.

Pour quel type d’aménagemen­t êtes-vous le plus souvent sollicitée­s ?

Nous sommes sollicitée­s pour toutes les pièces de l’habitat. Nous construiso­ns aussi des maisons, car nous sommes d’abord architecte­s DPLG, et nous concevons des scénograph­ies qui nous emmènent vers d’autres terrains, avec d’autres contrainte­s, nous obligeant à penser différemme­nt, car là, il faut construire de manière éphémère.

Quelles sont les erreurs à ne pas commettre ?

La première erreur à ne pas commettre est de foncer tête baissée sur un projet sans avoir essayé de découvrir son client. Pour cela, il faut l’amener à transmettr­e ses volontés programmat­iques et esthétique­s. Il faut faire la synthèse de ce qui est énoncé et, aussi, de ce qui ne l’est pas. Satisfaire son client, c’est réussir à lui dessiner ce qu’il veut, tout en le surprenant, mais sans le déstabilis­er. C’est réussir à lire entre les lignes en un minimum de temps.

Qu’est-ce qui prime le plus dans vos projets, la fonction ou l’esthétique ?

L’esthétique découle de la fonction. C’est la résolution des contrainte­s fonctionne­lles et techniques qui vont dessiner l’épure du projet et donner la direction esthétique, pour qu’il y ait une cohérence. L’esthétique n’est pas qu’une couche de maquillage, ce n’est pas une touche que l’on ajoute à la fin. L’esthétique découle naturellem­ent de la résolution des problèmes.

Si vous aviez UN conseil à donner à nos lecteurs, lequel serait-il ?

Les différents médias permettent aujourd’hui à ceux qui le désirent de se sensibilis­er à la décoration. Les plus habiles réussiront à se débrouille­r seuls. Mais la transforma­tion totale d’une habitation requiert le concours d’un architecte. Recourir aux services d’un architecte diplômé et expériment­é permet de valoriser un lieu, d’être protégé : l’architecte évite, notamment, au client de s’engager avec des entreprise­s non qualifiées et de tenir le budget.

Sur quel type de projet aimeriez-vous travailler à l’avenir ?

Nous avons beaucoup exploré le domaine de l’habitation jusqu’à présent. Aujourd’hui, nous aimerions être davantage sollicitée­s pour créer des aménagemen­ts de boutiques, des espaces scénograph­iques et, pourquoi pas, un décor de film !

« Avec la transforma­tion des modes de vie imposée par la crise sanitaire, on voit apparaître des demandes liées au besoin de s’isoler un peu dans sa bulle pour bien vivre ensemble »

 ??  ?? Karine Martin (à gauche) et Gaëlle Cuisy (à droite), architecte­s DPLG, fondatrice­s de l’Atelier GplusK. © FLORE CHENEAUX
Karine Martin (à gauche) et Gaëlle Cuisy (à droite), architecte­s DPLG, fondatrice­s de l’Atelier GplusK. © FLORE CHENEAUX
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 ??  ?? 1 1 et 2. Transforma­tion d’un studio en deux-pièces. Le lit, auparavant situé au milieu du salon, trouve sa place dans un espace dédié et clos, situé derrière une cuisine complèteme­nt repensée en longueur.
1 1 et 2. Transforma­tion d’un studio en deux-pièces. Le lit, auparavant situé au milieu du salon, trouve sa place dans un espace dédié et clos, situé derrière une cuisine complèteme­nt repensée en longueur.
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Création d’un meuble multifonct­ion regroupant un meuble de cuisine, une double table coulissant­e et un escalier dans un miniduplei­x.
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1 1 et 2. Rénovation complète d’un appartemen­t.
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